RETRAITES : LA CNRACL FACE AU DÉFI DE L’ÉQUILIBRE

La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) – qui est le régime de retraite de plus de 2 millions de fonctionnaires actifs – connaît depuis 2020 un déficit « structurel » : les cotisations perçues ne permettent pas de couvrir entièrement les pensions versées. Le président du conseil d’administration de ce régime de retraite a tiré la sonnette d’alarme lors d’une conférence de presse, ce 11 mars. L’occasion d’évoquer une série de propositions pour sortir de l’impasse, dont une hausse des cotisations payées par les employeurs.

En 2019, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) avait perçu 21 milliards d’euros de cotisations et versé des pensions pour un montant quasi équivalent. Mais en 2020, elle enregistrait un déficit de 192 millions d’euros. La situation est jugée inquiétante par le conseil d’administration de ce régime de retraite, auquel sont affiliés une grande partie des fonctionnaires des collectivités locales et des hôpitaux. Si rien n’est fait, les aides individuelles qui sont versées aux personnes faiblement pensionnées, pour leur permettre par exemple de payer leurs frais de santé ou leur facture d’énergie, devront être revues à la baisse, s’inquiète Cécile Marchand, membre de l’instance. Son président, Richard Tourisseau – qui a succédé en 2021 à Claude Domeizel – va donc « prendre son bâton de pèlerin ». Plusieurs rencontres avec les représentants des employeurs sont d’ores et déjà inscrites à son agenda : le 14 mars avec le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, et le 12 avril, avec le président du conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Philippe Laurent.

Sans attendre, Richard Tourisseau a décrit ce 11 mars lors d’une conférence de presse l’impasse financière dans laquelle se trouve le régime de retraite. Le déficit de la caisse est « structurel ». Avec près de 2,2 millions de cotisants en 2020 (dont 1,4 million relevant de la fonction publique territoriale) et 1,4 million de pensionnés (dont 55% de territoriaux), la CNRACL présente un ratio de 1,54, qui n’est toutefois pas le plus bas de tous les régimes de retraite (celui de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la Cnav, s’établit à 1,40). Mais ce ratio tend à se dégrader avec l’augmentation croissante du nombre des départs à la retraite. En 2020, quelque 62.000 affiliés – dont près des deux-tiers étaient des fonctionnaires territoriaux – ont fait valoir leurs droits à la retraite. Le recours croissant à des agents contractuels, qui relèvent à la fois de la Cnav et de l’Ircantec, n’arrange pas les choses, dénonce le président du conseil d’administration de la CNRACL.

Mauvais payeurs

En outre, la « compensation vieillesse  » que le régime de retraite verse chaque année – au même titre que la Cnav et le régime de retraite des agents de l’État – au profit de régimes en difficulté (retraites des agriculteurs, des indépendants ou encore des commerçants) pèse lourdement sur son équilibre. Cette contribution de la CNRACL s’est élevée à 1,25 milliard d’euros en 2020. Et si celle-ci doit certes décroître progressivement, elle pourrait encore dépasser 500 millions d’euros en 2025. De quoi plomber les comptes du régime, dont le déficit cumulé pourrait passer de 1,5 milliard d’euros en 2022 à 3,4 milliards d’euros en 2025 – en prenant en compte le coût de la compensation.

Le conseil d’administration de la CNRACL a déjà pris des mesures pour tenter de reprendre le chemin de l’équilibre financier. Le 30 septembre 2021, il a voté une baisse du seuil d’affiliation à la caisse des agents territoriaux occupant des emplois permanents, en le faisant passer de 28 heures à 17 heures 30. Soit le plancher défini par la loi. Quelque 75.000 agents – tous issus de la fonction publique territoriale – devaient ainsi rejoindre la CNRACL. Mais, ce faisant, ils devaient quitter le giron de la Cnav, dont le déficit se serait alors accentué. En outre, la mesure était inconstitutionnelle, selon les ministères de tutelle. Ceux-ci ont donc repris la main sans tarder. À l’occasion de la codification des règles de la fonction publique entrée en vigueur le 1er mars dernier, la CNRACL a tout simplement perdu son pouvoir d’initiative concernant le seuil d’affiliation. Un décret du 25 février dernier maintient celui-ci à 28 heures dans la fonction publique territoriale. « Le seul levier potentiel qu’on avait, c’était celui-là et on ne l’a plus », a déploré devant la presse Richard Tourisseau.

La caisse de retraite a toutefois encore une solution à portée de main : le recouvrement des cotisations qui n’ont pas été payées par les redevables, alors qu’elles sont obligatoires. Le montant de ces créances a représenté en tout la bagatelle de 786 millions d’euros l’an dernier, dont 318 millions d’euros qui sont dus par les employeurs (à plus de 80% par ceux du secteur hospitalier). Une première action en justice a été initiée contre le centre hospitalier d’Ajaccio, dont l’ardoise s’élève à plus de 76 millions d’euros au total. Le délibéré du jugement sera connu le 25 mars prochain. Sans attendre, le conseil d’administration de la CNRACL menace de saisir la justice dès qu’une créance sera supérieure à cinq ans.

Parmi les scénarios : la hausse de 20% des cotisations employeur

Le conseil d’administration du régime de retraite géré par la Caisse des Dépôts songe à d’autres solutions, sur lesquelles il n’a cependant pas la main. Pour accroître le nombre des cotisants au régime, il propose que tous les agents sur emploi permanent lui soient rattachés. Il s’agirait donc de supprimer le seuil d’affiliation. Les agents en CDI, qui seraient nombreux dans la fonction publique hospitalière, relèveraient eux aussi systématiquement de la CNRACL. Aujourd’hui, ces derniers sont affiliés à la Cnav et à l’Ircantec. Pour l’heure, le conseil d’administration de la CNRACL ne dispose pas de données permettant de simuler les effets qu’auraient de telles mesures.

Autre piste envisagée par l’organe délibérant du régime de retraite : la reprise par le fonds de solidarité vieillesse (FSV) – qui assure le financement des allocations du minimum vieillesse – de la « compensation vieillesse ». Cette question de compensation est « un problème de solidarité nationale » : sa prise en charge par le FSV serait « logique » et « raisonnable », explique Richard Tourisseau.

Le conseil d’administration de la CNRACL met aussi sur la table une hausse progressive de 6 points de base des cotisations retraite payées par les employeurs, afin d’atteindre un taux de 36,47% (soit + 20%). Cette option représenterait un coût très élevé mais permettrait au régime de renouer avec l’équilibre.

Reste que même sans aucune mesure, le scénario des prochaines années pourrait ne pas être aussi noir que le régime de retraite l’envisage. En effet, l’attribution d’un complément de traitement indiciaire à près de 800.000 agents, dans le cadre du Ségur de la santé, pourrait générer entre 700 et 800 millions d’euros de cotisations supplémentaires en année pleine. Une petite bouffée d’oxygène, dont l’effet sera toutefois progressivement décroissant, prévient-on.