RETRAITES : DEPUIS TRENTE ANS, DES ATTAQUES QUE NOUS COMBATTONS
Si le gouvernement s’emploie à presser le pas pour une nouvelle réforme des retraites, à travers deux sondages (Odoxa et Ifop) réalisés en septembre, les Français se déclarent majoritairement contre une réforme assortie d’un recul de l’âge de départ. Pour 72% à près de 80% des personnes interrogées, l’âge de départ ne doit pas se situer au-delà de 62 ans. Difficile de s’en étonner alors que chacun peut constater les conséquences des réformes qui se sont succédé depuis près de trente ans. Panorama.
Car si l’âge légal de départ est actuellement de 62 ans, l’âge moyen de départ se situe à 63,1 ans (en 2021) indique, entre autres, la sécurité sociale. Cet âge réel de départ n’a cessé de s’élever depuis 2010 (il était alors de 61,5 ans). Et toutes les études posent un lien de cause à effet : cette élévation découle notamment de la réforme de 2010 (loi du 9 novembre dite réforme Woerth) qui a relevé l’âge d’ouverture des droits à la retraite et qui par ailleurs repousse progressivement de 65 à 67 ans l’âge permettant d’acquérir [sans décote, NDLR] le taux plein indépendamment de la durée d’assurance.
En 2018, la Drees (direction statistique du ministère de la Santé) notait d’ailleurs qu’entre les générations 1951 et 1955, la proportion de personnes déjà retraitées à 61 ans a baissé de 39 points, reculant de 73% à 34%. Et ce n’est pas tout. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites le constate une fois de plus : le taux de remplacement, autrement dit le différentiel entre le niveau du dernier salaire net et la pension nette, ne cesse de diminuer au fil des générations. Le COR remarque (données Drees de 2016) ainsi : quel que soit le secteur d’activité considéré (secteur privé ou public), le taux de remplacement médian diminue de presque 5 points entre les générations 1938 et 1948, passant de 79,2 % à 74,5 %, et cela bien sûr pour une carrière complète… Soit seulement 76% des retraités pour la génération 1946). Le taux de remplacement médian de la génération 1950 continue de baisser précise encore le COR, de manière plus accentuée dans le secteur public.
Concrètement, le niveau des pensions baisse. Et la réforme de 2010 ne fut pas la seule. De fait, si la loi du 25 mars 1982 (par ordonnances) avait ramené l’âge de la retraite de 65 à 60 ans, onze ans plus tard, plusieurs réformes vont passer à une attaque tous azimuts des droits à la retraite.
En plein été 93, la réforme Balladur
Tout commence en 1991 avec le Livre Blanc, sous l’égide du commissariat général au plan et préfacé par Michel Rocard, alors Premier ministre. Le gouvernement ne s’attaque pas au principe du système par répartition mais pose la question de sa viabilité, invoquant l’évolution démographique (le vieillissement de la population). Par ce Livre Blanc, le gouvernement Rocard entend instiguer un débat pour une réforme visant…, à réduire les déficits et faire évoluer les financements des retraites. Mais c’est avec le gouvernement Balladur, deux ans après, en pleine période estivale (loi du 22 juillet 1993), qu’un premier couperet tombe : la durée de cotisation pour une retraite à taux plein passe de 37,5 annuités à 40 (un trimestre par an est ajouté, à partir de la génération 1934 et jusqu’à celle de 1943). Le calcul pour la pension, dans le privé, ne se fera plus sur les dix meilleures années mais, progressivement sur les 25 meilleures années. Autre effet de sidération au cœur de l’été : la revalorisation annuelle des pensions du privé devient adossée à l’inflation et non plus à l’évolution des salaires.
Mobilisation syndicale de 1995 ou le retrait du plan Juppé
La CNAV (caisse nationale d’assurance vieillesse) fera part en 2008 des dégâts rapides de cette réforme, constatant qu’entre 1994 et 2003, les pensions qui ont été versées aux retraités étaient plus faibles que celles versées auparavant.
Dès 1995, en novembre, à l’entrée dans l’hiver, le Premier ministre d’alors, Alain Juppé présente, entre autres, une nouvelle réforme des retraites. Il s’agit d’élargir la réforme Balladur en appliquant au secteur public et aux régimes spéciaux les règles du privé en matière d’allongement de la durée de cotisations. En réponse la mobilisation syndicale sera massive, FO en tête. La France sera bloquée pendant près d’un mois par des grèves, dont dans les transports et des manifestations avec parfois plus de deux millions de manifestants dans les cortèges. Le 15 décembre, le gouvernement retire son plan sur les retraites.
D’une contre-réforme à l’autre
Cela ne sonne pas hélas la fin des attaques contre les retraites. Ainsi en avril 2003, des grèves et des manifestations se déclencheront, cette fois contre la réforme Fillon. Malgré la mobilisation, le gouvernement s’entête. Une loi est adoptée le 21 août 2003. Elle prévoit, à partir de 2009, un nouvel allongement de la durée de cotisation, et pour tous (public et privé) pour atteinte 41 annuités en 2012. Ce qui implique que, de 2004 à 2008, la durée de cotisation pour les fonctionnaires soit relevée progressivement de 37,5 annuités à 40. Par ailleurs, outre de restreindre l’accès au système de préretraite, la loi Fillon prévoit entre autres aussi d’adosser l’évolution des pensions des agents à l’inflation et non plus au point d’indice.
En 2008, en mai, il y aura de nouvelles grèves contre la destruction des droits à la retraite. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, les régimes spéciaux (SNCF, RATP…) seront à leur tour notamment impactés par un allongement progressif de la durée de cotisation. Et l’évolution des pensions de ces agents seront indexées à l’inflation et non plus aux traitements/salaires. Et les attaques continuent…
La réforme de 2010 contre laquelle, du printemps à l’automne, il y aura de nombreuses journées de manifestations, et des grèves dans de nombreux secteurs, va poursuivre ainsi ce mouvement d’attaques des droits. La réforme Woerth va, entre autres, poser un âge légal de départ à la retraite : 62 ans à partir de 2018. Et la durée de cotisation pour une retraite à taux plein augmente, fixée à 41,5 pour la génération 1956. Cerise sur le gâteau, en 2012, il est décidé d’accélérer la réforme de 2010. Elle entrera en vigueur en 2017 et non en 2018.
En 2014, la loi du 20 janvier, dite loi Touraine, vient, elle, acter du principe de l’allongement de la durée de cotisation. En étirant encore cette durée. Sa mesure phare ? A partir de 2020, il faudra aller progressivement vers 43 annuités en 2035… Public visé : les générations à partir de 1973, tandis que les travailleurs nés dix ans plus tôt devront eux déjà afficher 42 annuités pour une retraite à taux plein.
64 ou 65 ans : c’est l’espérance de vie en bonne santé
Toutes ces réformes dites « paramétriques », spéculant sur des projections alarmistes pour tenter de légitimer leurs arguments comptables sur un « déficit des retraites » impacteront lourdement les droits des travailleurs. Concrètement, elles amoindriront le niveau des pensions. Et cela, sur fond de chômage, sans jamais remettre en cause le problème lié à l’emploi, notamment la perte des emplois due aux délocalisations tandis que, depuis 30 ans, les entreprises n’ont cessé de recevoir des aides publiques et nullement conditionnées.
Elles feront fi de la nécessité de développer les emplois pérennes, de mieux gérer les fins de carrière, ou encore d’augmenter massive des salaires, ce qui augmenterait cependant le volume des cotisations sociales et donc entrainerait davantage de recettes pour les retraites. Ce que ne cesse d’expliquer FO. Et plus largement, dans le cadre de la protection sociale, les gouvernements n’ont pas plus remis en cause, bien au contraire, les politiques d’exonérations de cotisations sociales envers les entreprises. Or, la Cour des comptes notait en 2019 que la part des recettes globales de la sécurité sociale issue des cotisations des entreprises est passée, toutes branches Sécu confondues, de 56% en 1981 à 39% en 2019…
Cette année-là, est apparu le projet d’une nouvelle réforme dite « systémique » sur les retraites avec l’objectif de créer un régime universel à points. Pendant près de quatre mois, le projet se heurtera à une contestation syndicale majeure, en particulier celle de FO. Adoptée par un 49.3, la réforme Macron est suspendue en mars 2020. Actuellement, l’exécutif revient à la charge sur les retraites, évoquant déjà depuis des mois un nouvel allongement de la durée de cotisations et un recul de l’âge de départ en retraite, à 64 voire 65 ans. Inconcevable pour FO. La Drees elle-même indique que l’espérance de vie en bonne santé était en moyenne en 2020 de 65,9 ans pour les femmes et 64,4 ans pour les hommes.
Valérie Forgeront
Journaliste à L’inFO militante
le 14 octobre 2022