GEL DE LA RÉMUNÉRATION DES AGENTS ET DES RECRUTEMENTS … QUELS PROJETS CACHE LA RÉFORME DES RETRAITES ?
Le gouvernement veut-il oui ou non geler les rémunérations et les recrutements dans la fonction publique ? C’est la question à laquelle il doit répondre selon Nos services publics, après lecture, notamment, de l’étude d’impact sur le projet de réforme des retraites.
« La sincérité du débat public sur le projet de réforme des retraites exige une clarification préalable sur les intentions du gouvernement en termes d’emploi public. » Arnaud Bontemps, l’un des fondateurs et porte-parole du collectif Nos services publics veut des réponses, avant que ne débutent au Parlement les débats sur le projet de réforme des retraites. Car l’étude des hypothèses retenues par le gouvernement pour calibrer cette réforme conduit à mettre au jour « des sous-jacents et conséquences, notamment concernant l’évolution du nombre de fonctionnaires et de leur rémunération, passées sous silence. Cela aurait un impact négatif de grande ampleur sur l’état des services publics ».
Dans une note rendue publique ce vendredi 27 janvier, et se basant sur les récents rapports du COR et de l’étude d’impact fournie par le gouvernement en début de semaine, le collectif souligne certaines contradictions (1) et suspicions sur la véracité des tableaux.
En effet, le collectif souligne que l’ensemble des chiffres de déficit utilisés au soutien de la réforme des retraites s’appuient en réalité sur les hypothèses transmises par Bercy au COR en matière d’emploi public.
Or, les projections de Bercy sont peu enthousiasmantes. « Nous avons remarqué que les projections de la direction du budget actualisées en septembre 2022 sur la période 2022-2027 sont même très sensiblement dégradées par rapport à celles transmises au COR pour juin 2021.
Quasi-gel des rémunérations
Le gouvernement a dit au COR tabler sur une évolution du traitement indiciaire moyen de 0,1 % en euros courants sur toute la durée du quinquennat. Soit un quasi gel qui conduirait, d’après les calculs du collectif, à une baisse très significative de la rémunération réelle (une fois l’inflation prise en compte) des fonctionnaires de 10,75 % entre 2022 et 2027.
Pour autant ce 0,1% parait « intenable » aux yeux du collectif. Pour au moins deux raisons. D’abord, l’impact de la revalorisation du point d’indice de 3,5 %, décidée en juillet 2022, n’apparaît pas répercuté en année pleine en 2023, et ce bien qu’elle soit antérieure aux prévisions transmises au COR.
Ensuite, l’évolution mécanique du traitement moyen des fonctionnaires (2), incluse dans ces prévisions, apparaît incompatible avec ces projections.
Le collectif Nos service publics illustre ainsi : entre 2019 et 2020, l’évolution du salaire net moyen dans la fonction publique était de 2 % en euros constants (2,5 % en euros courants) sans revalorisation du point d’indice. Même en dehors de la fonction publique hospitalière, portée par le contexte exceptionnel de crise sanitaire, l’évolution du salaire net moyen était de 1 % dans la fonction publique d’État et de 0,8 % dans la fonction publique territoriale (en euros constants), soit bien au-dessus des 0,1 % en euros courants projetés par le gouvernement. Un gros écart qui remet en cause le raisonnement pour la réforme des retraites.
« Rigidification des recrutements inédite »
Les hypothèses transmises au COR pour ses projections en matière de retraites prévoient aussi une stabilité des effectifs globaux pour la fonction publique d’État (de 2020 à 2070) et la fonction publique territoriale (entre 2020 et 2030).
« Un tel gel entraînerait, pour les administrations publiques de l’État et des collectivités territoriales l’impossibilité de recruter au-delà du remplacement des départs à la retraite, pendant la durée du quinquennat. Il conduirait à une rigidification des recrutements inédite dans les services publics depuis 2012 et à une diminution sensible de la part de l’emploi public dans l’emploi total. »
Celle-ci passerait de 16 % en 2010 à un peu plus de 14 % en 2030. Et dans un contexte d’accroissement de la population totale, il provoquerait également une diminution de 7,5% du nombre de fonctionnaires en proportion de la population. « Cela serait catastrophique au vu des besoins massifs auxquels font face les services publics », alerte Arnaud Bontemps.
Part des fonctionnaires de l’État, des collectivités locales et des hôpitaux dans la population totale telle que prévue dans les hypothèses du gouvernement
Une dégradation aggravant le déséquilibre du système de retraites
Oui mais voilà : compte tenu de l’importance des cotisations publiques pour le système des retraites, une telle dégradation de la masse salariale publique conduirait à aggraver notablement le déséquilibre du système de retraites à horizon 2030.
Aussi, la diminution de la rémunération des fonctionnaires, en termes réels, conduirait à « une dégradation conséquente des cotisations versées par les employeurs des 2,2 millions de fonctionnaires territoriaux et hospitaliers ». Cette diminution des recettes en euros constants conduirait à un moins-perçu pour la CNRACL légèrement inférieur à 0,06 point de PIB dès 2027.
A l’inverse, si aucun décrochage de la rémunération des fonctionnaires n’était organisé et que la masse salariale indiciaire évoluait comme celle de l’ensemble de la population, le déficit du système de retraites serait diminué de moitié à horizon 2030.
Plus précisément, cette division par deux du déficit serait directement due à l’apport de 0,18 points de PIB de cotisations supplémentaires au système de retraites en 2030, soit 4,7 milliards d’euros, par les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers.
Le gouvernement n’ayant de cesse de regretter le défaut d’attractivité de la fonction publique, le collectif Nos services publics ne veut pas croire que ces décisions politiques soient déjà actées. Il est toutefois à ces yeux malsain que ces hypothèses aient été retenues dans l’unique but de justifier la réforme des retraites.
« Alors, de deux choses l’une : ou ces projections sont le résultat d’une décision politique, et il est utile qu’elles soient portées à la connaissance des fonctionnaires et des citoyens, tant elles sont contradictoires avec d’autres déclarations gouvernementales au sujet de la revalorisation des services publics. Ou ces projections ne reflètent pas une orientation politique, auquel cas le débat sur la réforme des retraites se fonde sur des chiffres insincères », pose Arnaud Bontemps.
Indépendance du COR
Pour le collectif Nos services publics, il ne fait aucun doute que le recrutement et l’augmentation du point d’indice dans la fonction publique entraînerait mécaniquement une amélioration des ressources de notre système de retraites et une résorption partielle de son déficit à court terme. « Il s’agit donc d’un investissement qui compterait double en termes de bénéfices, à hauteur des cotisations retraites versées par les fonctionnaires territoriaux, hospitaliers et par leurs employeurs. »
Mais cet effet n’est actuellement pas chiffré par le rapport du COR : une étude approfondie sur ce point pourrait être éclairante pour le débat, suggère Arnaud Bontemps. Le COR pourrait par exemple intégrer une hypothèse de “non dégradation de la masse salariale public” à court comme à moyen terme.
De manière générale, le collectif recommande l’établissement d’hypothèses propres au COR pour le court terme, de manière à gagner en robustesse, en indépendance.
Notes
Note 01 pour les retraites des agents de l’État c’est un CAS, l’État est tenu d’équilibrer chaque année ce compte d’affectations. Il n’y a donc jamais de déficit et jamais d’excédent. Ce qui n’est pas le cas de la CNRACL dépendant des cotisations des employeurs
Note 02 GVT (glissement-vieillesse-technicité) positif, GVT négatif et effet de noria en particulier