LA RÉUNIONITE A-T-ELLE TOUJOURS COURS DANS LES ADMINISTRATIONS ?
Souvent considérées comme trop longues ou inutiles, les réunions font figure de bête noire dans les administrations. Si les employeurs ont conscience du problème et sont loin de l’ignorer, les habitudes ont la peau dure dans la pratique, tant la charge symbolique des réunions reste importante.
Qui n’a jamais assisté à une réunion qui ne le concernait pas directement ou enchaîné une journée remplie de réunions laissant l’impression désagréable de ne pas avoir avancé sur ses dossiers ? Si elles restent un outil de travail incontournable dans les administrations, tant pour la coordination des tâches que pour la communication interne et le lien entre les équipes, l’utilité des réunions est aujourd’hui remise en cause. Pourtant, force est de constater qu’elles évoluent de la même façon que les pratiques de travail.
Formelles ou informelles, en face-à-face ou à distance, régulières ou ponctuelles, elles peuvent recouvrir différentes réalités avec leur lot d’utilité, d’avantages mais aussi d’inconvénients. “Les réunions formelles, telles que les réunions de service ou les réunions bilan, sont très utiles pour le partage d’informations, l’alignement des équipes sur les objectifs à atteindre et l’encouragement des collaborateurs sur les résultats obtenus”, illustre par exemple Pierre-Henry Dodart, chargé de mission au sein du secrétariat général du développement durable (SGDD), anciennement adjoint au bureau de l’organisation et des temps de travail à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).
Une perception négative
La crise sanitaire a également profondément bouleversé la configuration des réunions. Les formats à distance ou hybrides, censés apporter plus de souplesse, sont devenus monnaie courante. Pourtant, les discours se plaignant de l’inefficacité ou même de l’inutilité de telles ou telles réunions persistent. Très souvent, et malgré leur intérêt certain, les réunions sont mal perçues par les agents publics en raison de leur fréquence excessive, de leur durée prolongée et parfois de leur pertinence douteuse.
“Lorsqu’un agent organise une réunion en face-à-face sans disposer de compétences d’organisation et d’animation, l’efficacité de la réunion est déjà compromise, insiste Pierre-Henry Dodart. Lorsqu’elle se tient à distance ou en format hybride, c’est très souvent la catastrophe. Il est fréquent, dans le cas de réunions hybrides, de voir les participants à distance être complètement oubliés par l’organisateur et les autres participants.”
D’où l’impérieuse nécessité de réinterroger les pratiques en profondeur. “Il y a eu de bonnes pratiques mises en place lors de la crise du Covid pour ne pas multiplier les réunions et faire en sorte que chaque réunion interministérielle soit décisoire, témoigne un fonctionnaire des services du Premier ministre. Aujourd’hui, le modèle de réunion hybride a pris une grande place et c’est une véritable catastrophe. Nous nous sommes rendu compte que nous repartions dans l’organisation de 5, voire 6 réunions interministérielles pour un sujet.”
À Matignon, la règle du présentiel s’est finalement réinstallée, notamment pour les sujets sensibles. “Il y a eu une communication du secrétariat général du gouvernement (SGG) et du cabinet de la Première ministre pour rappeler la discipline sur les réunions interministérielles, éclaire le même fonctionnaire. On impose notamment aux ministères de venir à 2 personnes maximum, mais parfois ils arrivent à 6 et la situation n’est pas facile à gérer. On peut néanmoins penser que certaines personnes présentes ne sont pas toujours en lien direct avec les enjeux de la réunion.”
Place à l’autonomie
Au sein du groupement d’intérêt public (GIP) plateforme de l’inclusion, héritier de la culture beta.gouv, on peut même dire qu’il existe une certaine forme de « méfiance » à l’égard du réflexe automatique des réunions. « Elles sont remises en cause pour l’ensemble des défauts qu’elles peuvent créer, longueur, inefficacité, inutilité, absence de prise de décision ou de conclusion, témoigne Arnaud Denoix, son directeur. Les réunions internes sont parfois associées à un risque de perte de temps, de coût improductif qui, paradoxalement peut s’accompagner d’un sentiment illusoire d’avoir travaillé, accompli quelque chose. » Résultat, au sein du GIP Plateforme de l’Inclusion, certaines prises de paroles sont chronométrées et aucune réunion n’est obligatoire. Chaque personne y est présente parce qu’elle l’a estimé nécessaire – c’est ce qui permet d’assurer un certain enthousiasme et énergie d’efficacité quand on est réuni. « Concrètement, en interne, chacun peut sortir d’une réunion s’il pense ne pas être utile et que son temps serait mieux employé ailleurs« , ajoute Arnaud Denoix.
Cette autonomie laissée aux agents semble nécessaire pour gagner en efficacité, chaque collaborateur étant, en effet, le meilleur juge de son temps et de ses priorités. “Nous encourageons la présence des personnes qui auront une vraie valeur ajoutée”, témoigne Christophe Bernier, directeur général des services de la ville de Bezons (Val-d’Oise). La ville envisage même la mise en place d’une formation spécifique dédiée aux réunions afin de remettre un cadre autour de leur utilité ou encore de la nécessité de fixer systématiquement un ordre du jour.
“Si la réunionite n’est pas encore derrière nous, elle souligne l’urgence d’une réforme de la gestion des réunions en particulier, et du management en général”, estime Pierre-Henry Dodart. Selon lui, afin d’améliorer l’efficacité des réunions dans l’administration, il est nécessaire d’adopter une approche globale, qui tienne compte de tous leurs aspects, depuis leur planification jusqu’à leur suivi. Il est également recommandé d’impliquer tous les participants dans ce processus pour favoriser leur engagement et leur participation active.
Mais au-delà de la promotion de bonnes pratiques, le sujet paraît plus difficile à aborder qu’il n’y paraît car il implique un changement de culture en profondeur. “Il y a une vraie charge symbolique autour des réunions, remarque Guillaume Aubin, directeur de l’expérience travail à la région Île-de-France. Si tu n’y es pas, c’est que tu n’existes pas.” Car si l’on peut se plaindre d’être sursollicité par les réunions, ne plus y être convié peut aussi avoir des effets délétères. Tout un paradoxe
8 juin 2023
Marie Malaterre
pour Acteurs Publics