L’ABSENTÉISME DANS LES COLLECTIVITÉS, UN SUJET DONT LES MANAGERS ONT DU MAL À SE SAISIR
Bien que la situation se dégrade, l’absentéisme est toujours une question taboue dans les collectivités. Si celles-ci sont peu nombreuses à se pencher réellement sur la question, notamment en établissant des statistiques adaptées, aucune ne peut ignorer le phénomène.
“Absentéisme au travail, on en parle ?”
Tel était le thème d’un colloque accueilli la semaine dernière dans les locaux de l’hôtel de ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Un sujet d’actualité s’il en est. Les chiffres de la quatrième édition de l’Observatoire Axa ont été dévoilés il y a quelques jours. Ils révèlent notamment que 44 % des salariés (public-privé), soit près d’un sur deux, ont été absents de leur poste au moins une fois au cours de l’année 2022. Il s’agit, selon les spécialistes du sujet, d’un record. À noter que seul un tiers des salariés s’étaient arrêtés au moins une fois en 2019, l’année de référence précrise sanitaire.
Par ailleurs, les déclarations de Gabriel Attal, ministre chargé des Comptes publics, autour de l’explosion des arrêts maladie ne sont pas passés inaperçues. Auditionné au Sénat le 14 juin dernier sur le projet de loi d’approbation des comptes de la Sécurité sociale pour 2022, il a notamment épinglé “l’augmentation extrêmement importante” des dépenses liées aux indemnités journalières. Un sujet sur lequel le ministre a promis de revenir.
Dans ce contexte, le colloque organisé la semaine dernière à Saint-Denis s’est penché sur la situation de l’absentéisme dans le secteur public et plus particulièrement au sein des collectivités territoriales. Mais quand on interroge Guillaume Pertinant, fondateur du cabinet Havasu, partenaire de l’événement et spécialiste de la question, ce dernier met en garde contre toutes les comparaisons entre public et privé. “Forcément, la situation est différente entre les deux secteurs car tout est différent : les métiers, les conditions de travail, la stratégie de rémunération”, énumère-t-il.
Un agent territorial sur 11
Pour autant, un chiffre persiste, celui du taux de 9 % d’absentéisme dans la fonction publique territoriale, soit 1 agent sur 11. “C’est comme si on jouait au foot avec un joueur en moins à tous les matches, et les chiffres augmentent”, assure-t-il. Aujourd’hui, il y a donc un véritable enjeu, qui consiste à inverser la tendance. “La prévention de l’absentéisme, ce n’est pas un catalogue de solutions, mais une démarche globale”, insiste Guillaume Pertinant.
À enclencher, en premier lieu selon lui, la formation des managers. Ces derniers, étant de plus en plus occupés au reporting et aux nouvelles tâches qui leur sont assignées par les nouveaux modes d’organisation du travail, “n’ont plus de temps pour être au plus près des équipes sur le terrain, pour identifier et lever les éventuels irritants avant qu’ils n’aient de plus graves conséquences”, analyse Bruno Jarry, directeur des ressources humaines au sein du département du Maine-et-Loire.
Il est aussi essentiel d’impliquer l’ensemble des acteurs dans un contexte dans lequel, d’une manière générale, “les dirigeants sont peu intéressés par le sujet, remarque Guillaume Pertinant. Nous pensons qu’il faut les accrocher par le point de vue économique en leur montrant combien l’absentéisme coûte à leur collectivité”. De son point de vue, les dirigeants doivent non seulement s’impliquer mais aussi s’engager et montrer à tous les acteurs que l’enjeu est primordial en communiquant régulièrement. “Il s’agit peut-être aussi d’un sujet que l’on n’ose pas aborder de peur que les chiffres et résultats soient mauvais”, remarque Bruno Jarry.
Parmi les autres points à aborder pour progresser dans la prévention de l’absentéisme : mieux sensibiliser les professionnels des ressources humaines, “qui ne comprennent pas toujours bien cette problématique”, remarque Guillaume Pertinant. La question véhicule de nombreuses idées reçues. Autre obstacle identifié, les spécialistes de la prévention n’ont pas l’absentéisme dans leurs prérogatives. Dans la grande majorité des organisations, ils travaillent davantage autour de la maladie ou encore des risques d’accidents du travail.
Faire jaillir la parole
Une fois ces actions réalisées, il est primordial d’analyser les causes de l’absentéisme, à partir desquelles les acteurs pourront construire un plan d’action. Dans ce contexte, l’analyse des données, les statistiques, les conditions de travail et l’ergonomie doivent être prises en compte. Tandis que les opérationnels travaillent plutôt sur du pilotage autour du nombre de jours d’absence, des arrêts maladie, des démissions, il faut aller sur une approche davantage qualitative. Il est donc essentiel de s’intéresser au “pourquoi” plutôt qu’au “combien”.
Autant d’éléments qui devront être complétés par une analyse la plus fine possible des conditions de travail, dans la mesure où l’on peut partir du postulat que si l’absentéisme est important et progresse, les conditions de travail ne sont pas bonnes. Pour Bruno Jarry, la question de l’absentéisme doit s’inscrire dans une démarche de qualité de vie au travail en créant des ateliers, des réunions, des discussions autour des éléments qui peuvent constituer des problèmes. Il est en effet nécessaire de faire jaillir la parole pour pouvoir chercher des éléments de réponse à apporter. Un premier pas essentiel en matière de prévention.
20 juin 2023
Marie Malaterre
pour acteurspublics.fr
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