PRIME AU MÉRITE : LE SERPENT DE MER SE MORD LA QUEUE

Stanislas Guerini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, souhaite « mieux récompenser le mérite des agents ». Ah, le mérite ! C’est le serpent de mer par excellence, qui finit toujours par se mordre la queue. Depuis quarante ans qu’il est invoqué, jamais le mérite n’a pu s’installer, ni devenir réellement crédible.

Stanislas Guerini veut, lui aussi, sa réforme de la fonction publique. Il ne sera pas le dernier ministre à souhaiter laisser une trace dans les Tables de la loi. Saura-t-il, en revanche, innover de sorte à réellement réformer la fonction publique ? On pense tout particulièrement à sa volonté de « mieux récompenser le mérite des agents ». Ah, le mérite ! Politiquement, le sujet est porteur, arborant tous les attributs du bon sens : pourquoi les agents qui travaillent plus et mieux que les autres ne gagneraient-ils pas plus ?

Pas réellement crédible

Peut-être, serait-on tenté de répondre, parce que depuis quarante ans qu’il est invoqué, jamais le mérite n’a pu s’installer, ni devenir réellement crédible. Ni en France, ni en Angleterre, ni aux États unis, ainsi que l’ont établi, dès 2012, Sylvie Saint-Onge et Marie-Laure Buisson dans la revue « Management international ». Le mérite, c’est le serpent de mer par excellence, qui finit toujours par se mordre la queue.

Les raisons des échecs dans ces trois pays se rejoignent : la part de la rémunération récompensant la performance est trop faible pour avoir un effet sur la motivation ; les cadres qui évaluent la performance sont mal formés ; les agents craignent le favoritisme et l’arbitraire ; la notion de performance individuelle est jugée peu compatible avec les objectifs collectifs de l’action publique.

Sous conditions

L’annonce de Stanislas Guerini a déjà suscité une levée de boucliers chez les syndicats, tandis que les employeurs territoriaux n’adhèrent que du bout des lèvres, et sous de nombreuses conditions.

Stanislas Guerini sait ce qu’il lui reste à faire s’il veut rénover la prise en compte du mérite : dégager les ressources budgétaires qui feront d’une telle prime un réel instrument de motivation, installer des indicateurs de performance compatibles avec le service public, former des cadres capables d’évaluer la performance, sans clientélisme. Le tout en tenant compte des particularités des trois versants de la fonction publique. À cette aune, en effet, plus qu’une réforme, ce serait une révolution.

15 septembre 2023
Romain Mazon
pour La Gazette des Communes