RÉDUCTION DES DÉPENSES : BRUNO LE MAIRE REMET EN QUESTION LE NOMBRE D’ÉCHELONS DE COLLECTIVITÉS LOCALES
Les ministres chargés de l’économie et du budget ont annoncé hier, à l’Assemblée nationale, que les économies sur le budget 2025 s’élèveront à 20 milliards d’euros au lieu de 12, en plus des 10 milliards déjà actés le mois dernier.
Trente milliards d’euros d’économies en un an. Si Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, hier, ont réfuté avec énergie toute idée de « rigueur » , la somme est considérable. Les ministres ont été clairs : les 10 milliards d’euros supprimés par décret, en février, le seront de façon « pérenne ». Mais, a précisé Thomas Cazenave, ministre chargé des Comptes publics, ce n’est qu’une « première étape » : dans le projet de loi de finances pour 2025, il faudra aller plus loin, et ce seront 20 milliards d’euros supplémentaires – et non 12 comme le ministre le prévoyait en janvier – qui seront ponctionnés sur le budget « de l’État et de la Sécurité sociale ».
Pas « d’austérité »
Ces annonces ont été faites dans le cadre d’une audition des ministres par la commission des finances de l’Assemblée nationale. Bruno Le Maire a débuté l’audition par un long discours illustré de « slides » destinées à alerter sur l’état des finances publiques : avec des dépenses équivalentes à environ 58 % du PIB, la France « a le niveau de dépenses le plus élevé des pays développés » . Cet écart, explique le ministre, « s’explique principalement par la dépense sociale », puisque la France « dépense 6 points de PIB de plus que la moyenne des autres pays européens sur les prestations sociales, la santé et les retraites ». Cette présentation donne, évidemment, des indications sur les intentions du gouvernement en matière d’économies budgétaires.
Bruno Le Maire a récusé fermement toute intention « d’austérité » : « Arrêtons les fantasmes, regardons les chiffres, la France n’a jamais connu d’austérité depuis 50 ans » , a affirmé le ministre. Estimant que les dépenses publiques ont « doublé en 23 ans » , passant de « 760 milliards à 1 600 milliards » entre 2000 et 2023, il a ironisé : « Ça fait cher l’austérité » . Ces chiffres, notons-le, sont donnés en euros courants, sans tenir compte de l’inflation, ce qui fausse un peu la perspective.
Face à « l’envolée » des dépenses publiques, Bruno Le Maire a donné « trois options » : « Ne rien faire » , ce qui serait « irresponsable » et reviendrait à « jeter l’argent par les fenêtres » ; « augmenter les impôts », ce qui serait « une impasse » – Bruno Le Maire a même crânement affirmé « jamais je n’augmenterai les impôts » ; et enfin, « rétablir sans délai nos finances publiques », ce qui, on l’a compris, est l’option choisie par le gouvernement.
L’absentéisme dans la territoriale pointé du doigt
Pour cela, le gouvernement veut commencer par rompre avec la logique selon laquelle « l’exceptionnel devient du permanent ». Les dispositifs décidés pendant le covid-19 ou la crise énergétique doivent donc être « débranchés » , y compris le bouclier tarifaire sur l’électricité dont le ministre estime qu’il n’y a « plus besoin ».
Le deuxième « pilier » de la stratégie gouvernementale est la réduction des dépenses de l’État, entamée avec le décret d’annulation de crédits de février. Bruno Le Maire a insisté : ces annulations « n’ont rien à voir avec la purge que certains voudraient présenter », puisque les budgets, malgré les annulations, restent en hausse. Sur la mission écologie, par exemple, « les crédits ont augmenté de 64 % entre 2017 et 2024. Après annulations, ils augmentent encore de 41 % ».
Troisième pilier : « faire des choix de politiques publiques ». Le ministre a rappelé que ces dépenses publiques se répartissent en trois grandes parts : « 50 % de dépense sociale, 30 % de dépenses de l’État, 20 % de dépenses des collectivités locales » . Et dans la foulée, il a été clair : « Tout le monde doit participer au rétablissement des finances publiques » – sous-entendu, les collectivités aussi.
À aucun moment le ministre de l’Économie, pas plus que son collègue des Compte publics, n’a évoqué de coup de rabot sur les dotations aux collectivités pour l’an prochain. En revanche, ils ont donné des pistes « d’économies » dans le fonctionnement de celles-ci. Par exemple : « Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que le nombre de jours d’absence parmi les personnels des collectivités locales soit de 17 par an, quand il est de 12 dans le privé, et de 10 dans les services de l’État ? Est-ce que vous trouvez ça juste ? Est-ce que vous trouvez ça raisonnable ? » , a demandé le ministre, comme si cet état de fait découlait d’un choix conscient et assumé des employeurs territoriaux.
Cette problématique de l’absentéisme dans la fonction publique territoriale est bien réelle, comme l’a encore montré à l’automne dernier l’Observatoire de la MNT (lire Maire info du 11 octobre). Mais elle mérite d’être traitée avec sérieux et sans sous-entendre, comme c’est trop souvent le cas, que les employeurs territoriaux se montreraient trop « laxistes » face à l’absentéisme d’agents « fainéants » . En réalité, l’absentéisme plus important dans la territoriale que dans le privé ou dans la fonction publique de l’État est dû pour l’essentiel à l’âge des agents : rappelons que l’âge moyen des agents de la territoriale est de 48 ans, contre 44 ans en moyenne pour les trois versants et 41 ans pour le secteur privé (chiffres de la MNT). Et la récente réforme des retraites, mécaniquement, ne pourra qu’aggraver le phénomène. Il faut également citer une typologie des métiers bien plus favorable à l’émergence de maladies profesionnelles : rappelons que plus de 75 % des agents de la FPT sont en catégorie C, en grande partie sur des métiers d’exécution incluant du port de charges, de la station debout (voirie, bâtiments, atsem, crèches, etc…).
Derrière cette question se cache donc la problématique, bien plus complexe à traiter, de l’attractivité de la fonction publique territoriale, qui ne se résoudra certainement pas par des coupes franches dans les budgets de fonctionnement.
Revoici le « trop de strates »
Au-delà de cet exemple très spécifique, Bruno Le Maire a ressorti un vieux serpent de mer : le millefeuille territorial. « Est-ce que vous trouvez légitime, juste et raisonnable que nous gardions encore un tel empilement d’échelons d’administrations locales ? », a-t-il demandé aux députés de la commission des finances. Ajoutant dans la foulée : « Pour moi, la réponse est non. » Ce sujet va donc obliger à « faire des choix » : « En matière de dépenses publiques, l’empilement n’est pas une option, le choix est une nécessité ».
Voilà qui interroge. On se rappelle qu’en novembre dernier, le président de la République avait annoncé confier une mission au député Éric Woerth sur la décentralisation, avec entre autres pour mission de mener une réflexion sur « la simplification de l’organisation territoriale en vue de réduire le nombre de strates décentralisées, aujourd’hui trop nombreuses » . Interrogé par Maire info sur ce sujet lors du Congrès des maires, Éric Woerth s’était montré rassurant : « J’ai dit au président de la République, quand j’ai été nommé, que dans mon esprit il n’y avait aucune conclusion (visant à) supprimer un niveau de strate ».
Dans l’esprit d’Éric Woerth, peut-être. Mais dans celui de Bruno Le Maire, il reste à savoir si les choses sont aussi claires. Les mots ont un sens : si le ministre estime qu’il n’est ni « légitime », ni « juste » , ni « raisonnable » de conserver « un tel empilement d’échelons d’administrations locales », cela signifie qu’il entend proposer de réduire cet « empilement ». Le gouvernement devra rapidement préciser ses intentions sur ce sujet – et le Premier ministre, faire savoir s’il partage sur ce thème les convictions de son ministre de l’Économie.
Par Franck Lemar
7 mars 2024
maire-info.com