COMPRENDRE LES DROITS À RÉMUNÉRATION DE L’AGENT EN CONGÉ DE MALADIE

Lorsqu’un agent public est en activité ou en détachement, il peut être placé en congé de maladie ordinaire quand la maladie le met dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. Décryptage des règles relatives à ses droits à rémunération.

Concilier la règle du service fait et la maladie

Le principe est bien connu : les agents publics n’ont un droit à percevoir leur rémunération qu’en contrepartie de l’accomplissement de leurs fonctions (code général de la fonction publique, CGFP, art. L.712-1 [2]). En application de cette règle, dite « du service fait », toute absence d’exercice de ses missions par un agent, pendant une fraction quelconque de la journée, emporte une retenue sur traitement.

Toutefois, ce principe n’est pas sans limite et connaît des dérogations législatives. Spécialement, l’agent conserve sa rémunération, totalement ou partiellement et sur une période limitée, durant un congé de maladie alors même que, durant ce congé et à raison de son état de santé, il n’effectue pas son service. Un tel maintien de traitement vise, en dérogeant à la règle du service fait, à compenser la perte de rémunération générée par la maladie.

En d’autres termes, l’agent se trouvant dans l’impossibilité d’accomplir ses fonctions à raison de son état de santé ne doit pas, à tout le moins pas totalement et uniquement pendant une certaine durée, être pénalisé financièrement.

Etant souligné que cette solution vaut pour le traitement, le supplément familial de traitement et l’indemnité de résidence, mais ne trouve, en revanche, pas à s’appliquer au régime indemnitaire, ce dernier pouvant – voire devant – être suspendu pour les agents placés en congé de maladie lorsque les primes et indemnités qui le constituent sont liées à l’exercice effectif des fonctions (1) [3].

Mais est-ce à dire que le droit des agents aux congés de maladie et à la rémunération qu’ils impliquent s’impose en toutes hypothèses, et ce, indifféremment des diverses mesures adoptées à l’égard de l’agent public ? Les juridictions ont déjà répondu par la négative concernant les décisions qui rompent définitivement tout lien entre l’administration et son agent, considérant que « la circonstance qu’un agent soit placé en congé pour maladie ne fait obstacle ni à l’exercice de l’action disciplinaire à son égard ni à l’entrée en vigueur d’une décision de sanction

impliquant la radiation des cadres » (2) [4], d’une mise à la retraite d’office (3) [5] ou d’un licenciement prenant immédiatement effet, même s’il est placé en congé de maladie.

Articuler l’impossibilité d’exercer les fonctions et la maladie

L’indifférence du placement en congé de maladie pour les sorties de service vaut-elle encore lorsque la mesure prononcée par l’autorité de nomination laisse perdurer la relation professionnelle unissant l’agent à la personne publique employeur ? En effet, dans un tel cas, il convient de déterminer quelle mesure, du placement en congé de maladie ou d’une décision emportant un droit à rémunération différent, prime.

De longue date, le Conseil d’État a affirmé, pour un agent faisant l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire emportant une interdiction professionnelle, que, nonobstant son placement en congé de maladie, l’intéressé ne pouvait prétendre au maintien de traitement y étant associé dès lors que lui verser une rémunération aurait « pour effet d’accorder à un fonctionnaire bénéficiant d’un congé de maladie des droits à rémunération supérieurs à ceux qu’il aurait eus s’il n’en avait pas bénéficié » (4) [6]

A suivre le rapporteur public, « cette solution correspond à la logique des congés de maladie, qui consiste à assurer à l’intéressé un revenu de substitution à celui qui lui serait dû si la maladie ne l’avait pas empêché d’assurer le service. Or, maladie ou pas, l’agent incarcéré, ou empêché d’exercer son activité par la mesure de placement sous contrôle judiciaire, ne peut pas, en tout état de cause, exercer son service » (5) [7].

Le même raisonnement a récemment été suivi pour les exclusions temporaires de fonctions. Jusqu’alors, la conciliation entre l’exécution d’une exclusion temporaire de fonctions, privant l’agent de tout droit à rémunération, et le congé de maladie demeurait incertaine et paraissait devoir être différente selon que l’agent était d’ores et déjà placé en congé de maladie au jour de l’intervention de la décision ou sollicitait le bénéfice d’un tel congé après l’entrée en vigueur de la sanction. Ce qui conduisait, dans la première hypothèse, les employeurs publics à reporter l’entrée en vigueur de la sanction au terme du congé afin d’éviter toute controverse.

Le Conseil d’État a tranché cette question par un arrêt du 3 juillet 2023 en rappelant que la conservation par l’agent durant un congé de maladie de « l’intégralité ou la moitié de son traitement, [a] pour seul objet de compenser la perte de rémunération due à la maladie en apportant une dérogation au principe […] subordonnant le droit au traitement au service fait » et en réaffirmant qu’une telle dérogation ne peut « avoir pour effet d’accorder à un fonctionnaire bénéficiant d’un congé de maladie des droits à rémunération supérieurs à ceux qu’il aurait eus s’il n’en avait pas bénéficié » (6) [8]

La juridiction en a donc conclu qu’une exclusion temporaire de fonctions pouvait légalement être infligée à un agent placé en congé de maladie et entrer en vigueur, même au cours d’un tel congé, privant ce faisant l’intéressé de toute rémunération, ainsi qu’il en aurait été s’il n’avait pas été en congé.

En somme, que l’agent bénéficie d’un congé de maladie au jour de son exclusion temporaire de fonctions ou au cours d’une telle exclusion est indifférent : il n’a pas droit au maintien de sa rémunération, le congé de maladie ne l’emportant pas sur la sanction disciplinaire.

Connaître la situation particulière de la suspension de fonctions à titre conservatoire

Lorsqu’il apparaît de manière vraisemblable qu’un agent aurait commis une faute grave, il peut faire l’objet d’une mesure de suspension, d’une durée initiale de quatre mois, durant laquelle son plein traitement lui est maintenu (CGFP, art. L.531-1 [9]). Là encore, donc, la loi organise une dérogation au principe du service fait. Et cette dérogation peut venir se heurter à celle tenant au placement de l’agent en congé de maladie.

Au fil des décisions, les juridictions administratives ont organisé la rencontre de ces deux mesures. Ainsi la suspension constituant une position d’activité, l’agent faisant l’objet d’une telle mesure a-t-il droit à bénéficier d’un congé de maladie. Lorsque ce placement en congé intervient en cours de suspension, il est mis un terme à cette mesure conservatoire qui pourra toutefois, à l’issue du congé, intervenir de nouveau si les conditions demeurent réunies (7) [10].

L’agent déjà placé en congé de maladie peut également être suspendu ; mais la suspension n’entre alors en vigueur qu’à compter de la date à laquelle le congé de maladie prend fin (8) [11]. Dans une telle hypothèse, c’est

donc le congé de maladie qui l’emporte sur la suspension, ces deux positions, toutes deux d’activité, constituant des dérogations à la règle du service fait qu’il convenait de hiérarchiser.

Être attentif au sort réservé à d’autres mesures privatives de traitement

La solution consacrée par le Conseil d’Etat le 3 juillet 2023 apporte un éclairage nouveau sur la conciliation entre les droits à congé de maladie et d’autres décisions emportant normalement la suspension de toute rémunération.

On pense notamment à la suspension des agents pour non-respect de l’obligation vaccinale contre le Covid-19. Par des décisions rendues en référé, le Conseil d’Etat a, certes, estimé que si une mesure de suspension à l’encontre d’un agent ne s’étant pas conformé à son obligation de vaccination pouvait légalement être adoptée, elle ne pouvait toutefois, de même que la privation de tout traitement y étant associée, prendre effet qu’à

compter du terme dudit congé (9) [12]. De sorte que l’agent pouvait conserver le traitement afférent à un congé de maladie, ce alors qu’il n’aurait normalement eu, s’il n’avait pas été malade, aucun droit à rémunération à raison de l’impossibilité pour lui d’exercer ses fonctions.

Or, pour paraphraser le rapporteur public de Lesquen, rémunérer le fonctionnaire malade ne s’étant pas conformé à son obligation vaccinale « consiste bien à lui accorder un traitement que le même fonctionnaire n’aurait pas été en droit de percevoir s’il avait été en bonne santé » (10) [13]. Et c’est précisément ce constat qui a conduit la Haute Juridiction à conclure, pour les agents exclus temporairement de leurs fonctions ou frappés d’une

interdiction professionnelle, que, placés en congé de maladie, ils ne pouvaient percevoir une rémunération supérieure à celle qui aurait été la leur s’ils n’avaient pas bénéficié d’un tel congé, sans que la chronologie des mesures n’entre en ligne de compte.

En pratique donc, et même si le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur le fond – ce qui ne saurait vraisemblablement tarder –, il pourrait être estimé que l’agent n’ayant pas respecté l’obligation vaccinale contre le Covid-19 et ne pouvant, de ce fait, exercer ses fonctions, ne peut prétendre à aucune rémunération, quand bien même était-il en congé de maladie avant ladite suspension ou au cours de celle-ci. Ce qui pourrait ouvrir la voie pour les personnes publiques employeurs à un possible recouvrement des sommes indues à ce titre.

Publié le 13/03/2024
Dans lagazettedescommunes.com