« UN FOSSÉ S’EST CREUSÉ ENTRE LES USAGERS ET LES SERVICES PUBLICS » ALERTE LA DÉFENSEURE DES DROITS DANS SON RAPPORT ANNUEL
Entre « la fragilisation de l’état de droit » et le « fossé » qui s’est « considérablement creusé entre les usagers et les services publics », la Défenseure des droits ne sait plus où donner de la tête. Dans son rapport annuel, l’institution recense 92.400 réclamations, en hausse de 12%. Les atteintes aux droits des usagers de services publics sont cette année encore « un motif massif » de saisine de l’institution.
Avec ses 600 délégués territoriaux dans près de 1.000 lieux d’accueil et ses 250 agents dont 20 en région, l’institution du Défenseur des droits a reçu en 2023 un total de 137.894 réclamations, informations et orientations, un chiffre en hausse de 10% par rapport à 2022 dont on ne peut se réjouir.
« Fragilisation de l’état de droit »
Mais ce que l’on retient en premier lieu de la publication du rapport annuel 2023 c’est que cette année aurait été « marquée par une fragilisation de l’état de droit ». « On observe une sorte de banalisation des atteintes aux droits, cette fragilisation n’est pas nouvelle mais elle s’inscrit dans une tendance de fond avec une forme d’accélération », décrit Claire Hédon dans son édito.
La Défenseure des droits déplore « l’inexécution de plus en plus importante des décisions de justice, y compris adoptées par les plus hautes juridictions », que ce soit le Conseil d’État ou la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Observée depuis des années, « la non-exécution massive des décisions de justice en matière de droit au logement opposable (Dalo) ou d’accès des étrangers aux préfectures » est quant à elle « dans certaines régions, une constante », dénonce-t-elle.
Les restrictions des libertés d’expression, de manifestation et d’association se sont poursuivies, déplore également l’institution. Au total, celle-ci dit avoir été saisie « de près de 170 réclamations mettant en cause la déontologie des forces de sécurité dans le maintien de l’ordre » à l’occasion des manifestations contre la réforme des retraites. Ces saisines répétées « peuvent dissuader des personnes d’aller manifester et restreignent ainsi la possibilité d’utiliser la manifestation comme vecteur de contestation des décisions publiques », s’alarme Claire Hédon auprès de l’AFP.
Atteintes aux droits des usagers de services publics en hausse de 12%
Avec 92.400 réclamations, en hausse de 12% par rapport à l’an passé, les atteintes aux droits des usagers de services publics sont cette année encore « un motif massif de saisine de l’institution », en grande partie du fait de la difficulté d’accès à ces services dans les territoires. « En effet, les services publics se sont éloignés des usagers du fait d’une dématérialisation excessive, de fermetures de guichets et font peser sur les usagers la charge administrative », résume le communiqué de l’institution publié ce 26 mars. Qui estime que la création du dispositif des espaces France services « permet de combler cette distance dans le lien entre la population et services publics mais répond encore imparfaitement à toutes les difficultés rencontrées par les usagers ».
Les droits fondamentaux des personnes étrangères encore en recul
Devenu premier motif de saisine de l’institution en 2022 avec 24% de la globalité des réclamations, les atteintes aux droits des étrangers atteignent désormais 28%. Le sujet des titres de séjour (première demande ou renouvellement auprès des préfectures) arrive en tête avec 74% des dossiers concernant les services publics, devant les demandes de regroupement familial (5%) ou de naturalisation (4%). « Les délais de traitement de ces dossiers conduisent à des ruptures de droits », prévient l’institution, décrivant des personnes en situation régulière pouvant se retrouver en situation irrégulière avec une possible perte de logement et d’emploi, « ce qui les place dans une forme d’insécurité administrative permanente ».
Focus sur la protection de l’enfance
3.910 réclamations ont concerné cette année la défense des droits de l’enfant. La protection de l’enfance préoccupe particulièrement. Pour la première fois, des magistrats ont alerté la Défenseure des droits de la situation extrêmement inquiétante d’enfants nécessitant une protection du fait du manque de places en foyer et d’assistants familiaux, de placements non exécutés, et de ruptures dans leurs parcours.
Le droit à l’éducation a également été remis en cause pour 27.000 élèves à la rentrée 2023 du fait d’une absence ou d’un retard significatif d’affectation au lycée, « chiffre auquel il faut ajouter les milliers d’enfants d’outre-mer qui n’ont pas accès à l’école », souligne le rapport. En anticipation de la rentrée dernière, en juillet 2023, la Défenseure s’était déjà saisie d’office de la situation de nombreux élèves ayant rencontré d’importantes difficultés pour poursuivre leur scolarité au lycée faute de place pour les accueillir, notamment en filière professionnelle et technologique, alors qu’ils étaient admis en niveau supérieur (notre article du 10 juillet 2023)
Des contrôles d’identité mal encadrés
2023 a aussi marqué la reconnaissance de l’existence de pratiques de contrôles d’identité discriminatoires. Le Conseil d’État, devant lequel le Défenseur des droits est intervenu, a retenu qu’il ne s’agissait pas d’actes isolés et que le sujet relève d’une politique publique. La Cour des comptes a réalisé, à la demande de la Défenseure des droits, un rapport qui évalue à 47 millions le nombre des contrôles d’identité effectués en France en 2021 (dont 15 millions de contrôles routiers). « Il met notamment en exergue une pratique non ou mal mesurée, des objectifs poursuivis et des conditions de réalisation peu définis ainsi qu’une formation initiale et continue insuffisantes des forces de l’ordre », prévient l’institution.
L’accueil téléphonique des services publics
Le Défenseur des droits a enfin entrepris une nouvelle évaluation approfondie de l’accueil téléphonique de quatre organismes assurant des missions de service public essentielles et généralistes : la CPAM, la CAF, Pôle emploi et la Carsat. Sur l’ensemble des quatre plateformes testées, 40% des appels n’ont pas abouti, et la durée moyenne d’attente pour obtenir un interlocuteur dépassait neuf minutes. La disponibilité des agents varie considérablement entre les plateformes, Ameli et la CAF étant les plus difficiles à joindre. Le taux de réponses satisfaisantes à une demande d’informations ne dépasse jamais 60% sur l’ensemble des plateformes. Les usagers sont souvent dirigés vers les sites internet des organismes, même ceux qui indiquent ne pas être équipés ou avoir des difficultés avec internet. Dans son rapport, la Défenseure des droits insiste sur la nécessité d’une adaptation des services publics aux besoins des usagers, en favorisant une communication omnicanale où le téléphone conserve son importance (notre article du 2 février 2023). Une demande qui trouvera peut-être un écho à l’occasion du prochain « Rendez-vous de la DITP » dont c’est justement le thème, ce mercredi 27 mars.