DÉCENTRALISATION : LES PREMIÈRES PISTES D’ÉRIC WOERTH
Clarification des compétences, pouvoir règlementaire, finances locales, conseiller territorial, statut de l’élu… Eric Woerth a dévoilé, ce mercredi 27 mars, à l’Assemblée nationale devant la délégation aux collectivités, les premières pistes du rapport sur la décentralisation que lui a confié Emmanuel Macron.
« Je ne vais pas proposer un grand soir mais je veux proposer une nouvelle étape de la décentralisation avec beaucoup d’ambition. Ce ne sera pas simplement des mesures d’ajustements », précise, d’emblée, Eric Woerth, le député (Renaissance) de l’Oise chargé d’une mission par Emmanuel Macron sur la décentralisation depuis novembre dernier.
Auditionné par la délégation aux collectivités de l’Assemblée nationale, ce 27 mars, il a profité de l’occasion pour présenter certaines de ses pistes de travail et futures préconisations de son rapport qui sera rendu début mai au chef de l’État.
Vers une vaste réforme
Le périmètre est immense. Eric Woerth compte s’attaquer à la fois au champ des compétences des collectivités, aux finances locales, au pouvoir règlementaire, au statut de l’élu et même à la réforme de la loi Paris-Lyon-Marseille ou encore au statut des grandes métropoles.
Il s’est néanmoins fixé deux interdits : la suppression d’une strate de collectivités et le redécoupage des grandes régions.
« C’est un peu simpliste de dire que c’est un levier d’économies. On a plutôt besoin que les collectivités fonctionnent mieux ensemble », explique-t-il.
Clarification des compétences
Pour ce faire, il veut remettre de l’ordre dans l’exercice des compétences des collectivités. « Je regrette qu’elles travaillent souvent sur celles du voisin car elles considèrent qu’elles ne sont pas bien remplies ». Il réfléchit, en particulier, à réduire les compétences non affectées comme le sport, tourisme, culture, loisirs. « C’est un principe d’efficacité et de disponibilité de l’action publique. Ce que vous mettez ailleurs c’est autant d’argent que vous ne mettez pas sur vos compétences », justifie-t-il.
Concernant l’organisation territoriale, il estime que le bloc communal a besoin de stabilité avec un renforcement du rôle des maires pour qu’ils soient davantage reconnus.
Sur les intercommunalités, Eric Woerth écarte l’élection de l’exécutif au suffrage universel et le statut de collectivité mais propose de passer de quatre à deux régimes juridiques différents et que leurs nouvelles compétences futures ne soient pas obligatoires mais prises dans une liste générale de compétences avec un accord dans le cadre du pacte de gouvernance de l’EPCI. Il propose aussi une obligation de contractualisation pour les communautés urbaines et les métropoles avec les départements mais avec de la souplesse dans son contenu.
Toute l’action économique pour les régions
Sur les départements, il réfléchit à repenser l’organisation de la compétence sociale des départements sans en dire plus. Il imagine que le département pourrait devenir « le lieu des réseaux » et récupérer la compétence et taxe Gemapi afin de prévenir les inondations.
Enfin, il analyse les régions comme le lieu de la planification et de la schématisation, des grandes infrastructures. »Les régions qui veulent obtenir des brevets de proximité sont à côté de la plaque », tacle-t-il. Il propose, à l’inverse, qu’elles récupèrent l’exclusivité de l’action économique avec possibilité de délégation et veut renforcer leurs pouvoirs de contrôle
« Il doit y avoir une coordination un peu active et peut être un peu autoritaire qui doit se faire », précise-t-il en promettant des propositions sur ce thème dans son rapport.
Plus globalement, il mise sur un approfondissement de la contractualisation en souhaitant faire participer les départements et métropoles au CPER et les régions aux CRTE. « Souvent, ils participent aux financements sans vraiment le savoir », regrette-t-il. Mais il prévient, en cas de carence, « il faudra inventer un mécanisme de substitution ».
Pas de nouvel impôt local
Sur le champ de la différenciation, il est favorable au transfert du pouvoir règlementaire sur une compétence aux collectivités qui la détiennent. « Mais il faut que l’Etat accepte de se désengager du pouvoir règlementaire », pointe-t-il. Un véritable changement culturel qui doit se compéter d’une plus grande déconcentration. Sur ce point, il alerte sur le besoin d’un renforcement des pouvoirs des préfets sur les agences indépendantes et de limitation des appels à projets.
L’ancien ministre du Budget, n’a pas oublié d’aborder les sujets financiers. Il prône la simplification des demandes de subvention en réclamant un même dossier, une même rédaction et une unité calendaire pour l’Etat, les départements et les régions. Il souligne aussi la nécessite d’une dotation unique à la main du préfet regroupant la DETR, DSIL, fonds vert, FNADT avec une capacité pluriannuelle.
Une proposition de pluriannualité qui devrait plaire aux associations d’élus mais qui ne fera pas passer la pilule du refus de création de nouvel impôt local. « Il n’y a pas un contribuable local et un contribuable national. Et on ne peut pas garantir toutes les ressources des collectivités », tance-t-il. La solution se trouve plutôt pour lui dans un meilleur partage de l’enveloppe de fiscalité nationale avec un plus grand pouvoir de taux pour les collectivités mais pas en donnant de la TVA car « l’Etat en a besoin ».
« Reset » sur la DGF
Il a en tête spécifiquement les départements pour qui il proposera la répartition et la territorialisation d’un grand impôt national avec « une méthode de financement du social ». Une proposition qu’il imagine aussi pour les régions, afin qu’elles bénéficient du « résultat de leur action ».
Sur la DGF, il réclame « une forme de reset » car « les critères sont devenus incompréhensibles ». Cela tombe bien le comité aux finances locales dirigé par André Laignel planche dessus après une demande d’Emmanuel Macron lors du dernier congrès des maires. « La référence au passé ne doit pas nécessairement être la bonne référence », indique Eric Woerth.
Une remarque qui pourrait inquiéter les élus locaux au moment même où Emmanuel Macron et Bercy lorgnent sur les transferts aux collectivités pour combler une partie du déficit public.
Conseiller territorial
Eric Woerth regarde également en ce moment comment assouplir le cumul des mandats et si c’est possible techniquement, électoralement et juridiquement de mettre en place le conseiller territorial.
Enfin, sur le statut de l’élu, Eric Woerth insiste sur le besoin d’augmenter les indemnités des élus et sur la limitation de leur responsabilité pénale. « Je ne dis pas ça pour les grands bandits mais ceux qui font correctement leur travail » en pointant surtout les risques qui pèsent sur les élus locaux pour conflits d’intérêts public-public.
Dans nos colonnes, Didier Migaud, le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avait déjà expliqué, en décembre dernier, « réfléchir à des aménagements complémentaires qui ne remettent pas en cause le fond du dispositif mais pourraient préciser davantage les conditions de mise en œuvre de la prise illégale d’intérêts, afin de sécuriser davantage les élus dans leurs missions ».
Pour la suite, Eric Woerth donne rendez-vous en mai pour le rendu de son rapport et espère qu’il deviendra « un projet de loi du gouvernement proposant un nouvel acte de décentralisation ». Mais le chemin est encore long surtout que le Sénat compte aussi légiférer sur ces questions en proposant prochainement pas moins de trois propositions de loi.
Publié le 28/03/2024
• Par Romain Gaspar
• dans : lagazettedescommunes.com