COUPES BUDGÉTAIRES : LES FONCTIONNAIRES AUX PREMIÈRES LOGES
Visés par le Gouvernement comme l’une des sources d’économies pour combler le déficit public, les fonctionnaires dénoncent une posture idéologique déconnectée du réel.
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« La France est accro à la dépense publique (…) Face à cette situation, nous devons prendre les décisions nécessaires pour rétablir nos comptes (…) », a déclaré le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, le 6 mars, devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. « L’heure des choix a donc sonné », a- t-il fait savoir.
Outre les 10 milliards d’économies programmées sur les dépenses de l’État, il est clair pour Bruno le Maire que les collectivités devront participer au redressement des comptes publics, avançant notamment comme piste… l’absentéisme. « Est-il vraiment légitime et pouvons-nous encore nous permettre que le nombre de jours d’absence parmi les personnels des collectivités locales soit de 17 par an, quand il est de 12 dans le privé, et de 10 dans les services de l’État ? », a lancé le ministre.
Le statut dans le viseur
Invité le 26 mars sur BFM pour évoquer le déficit public, le président des Républicains Éric Ciotti en a remis une couche. Ce dernier a fustigé le statut de la fonction publique auquel il « faudra naturellement s’attaquer » et « l’emploi à vie » qui ne doit pas « être un tabou », estimant par ailleurs que les « jours de carence » doivent être « harmonisés avec le privé ».
« Le gouvernement s’est privé de recettes avec la suppression de la CVAE (Contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) qui coûte 10 milliards d’euros par an. Et que dire du soutien aux entreprises sans contrepartie pendant le Covid ? Le déficit vient de là », rectifie Johan Theuret, co-fondateur du think tank Le sens du service public.
Retour du « fonctionnaire bashing »
« Et c’est reparti ! En cette période de restrictions budgétaires, le temps semble revenu des grands discours à l’emporte-pièce sur le « trop de fonctionnaires », « trop de bureaucratie », sur la nécessité de « s’attaquer statut » », constate l’historien Émilien Ruiz, auteur de « Trop de fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française » (Fayard, 2021), sur le réseau social professionnel LinkedIn [3].
Ce retour en force du « fonctionnaire bashing » ne fait pas du tout rire Émilie Agnoux, co-fondatrice du think tank Le sens du service public. « Je suis en colère ! Nous pensions que cette rengaine était derrière nous. Il a suffi de discours alarmistes sur le déficit public pour que cette obsession du « trop de fonctionnaires », refasse surface », déplore-t-elle.
La dénonciation du nombre trop élevé d’agents publics, tout comme le dénigrement du statut, resurgissent régulièrement dans le débat public. Chaque campagne présidentielle charrie son lot de promesses en la matière.
« Nous avons créé notre think tank en 2021 pour que, justement, lors de la Présidentielle de 2022, on parle de politiques publiques et non du nombre de fonctionnaires », rapporte Émilie Agnoux.
Un choix idéologique
Présenté comme une nécessité budgétaire, le débat est avant tout idéologique. L’objectif de baisse du nombre de fonctionnaires est le fruit d’un choix politique et d’une vision du rôle de l’État, assurent les défenseurs du service public.
« Veut-on répondre en commun aux besoins ou laisser chacun se débrouiller en déléguant l’action publique au privé ? C’est la question de la nature même du service public qui est posée », assure Arnaud Bontemps, co- fondateur et porte-parole du collectif Nos services publics (voir encadré). « Dire qu’il y a trop de fonctionnaires n’a aucun sens. Se demander ce que l’on veut comme modèle de gestion, avec quelles valeurs et quels principes, là ça en a », renchérit Marlène Rouquette, chargée de mission analyse des besoins sociaux au centre de gestion des Landes.
- Salaires, absentéisme, manque de moyens… Le bilan préoccupant dressé par « Nos services publics » [6]
« S’attaquer au statut, c’est tout aussi idéologique », fait remarquer Émilie Agnoux. Et d’expliquer : « il a été créé pour garantir la continuité du service public et assurer de l’expertise. Il n’est pas fait pour être, ou non,
couteux. Penser que ce serait plus simple si on pouvait « virer » les agents, en fonction de la conjoncture, est illusoire. Flexibiliser le travail ne fait pas faire d’économies ! ».
« On recrute de plus en plus de contractuels, il y a déjà un recul du statut. Et pourtant, il y a une dégradation des finances locales », observe Marlène Rouquette. Quant à l’allongement du délai de carence, il ne résoudra pas le problème de l’absentéisme qui tient avant tout à la pénibilité des métiers et à l’âge des agents.
« Si on aligne le régime des jours de carence du public sur celui du privé, est-ce qu’on fait ça pour réduire le déficit de l’assurance maladie ? Ces jours seront-ils pris en charge par l’employeur comme cela se fait en entreprise ? », interroge Johan Theuret. Ce ne serait alors qu’un report de charge de plus sur les collectivités.
En finir avec les doublons
Si économies il doit y avoir, elles sont à chercher du côté du fonctionnement des administrations et du service public « C’est l’inefficience des rouages administratifs qui pose problème. Il faut remettre les moyens en face des besoins pour éviter les doublons. Et pour cela, il faudrait pouvoir faire une pause dans les réformes pour vraiment analyser les besoins », estime encore Marlène Rouquette.
« Des services d’administration centrale existent alors que les compétences ont été transférées aux collectivités», signale de son côté Johan Theuret. Dans certains cas, des « bouts » de compétences n’ont pas été transférées entre communes et EPCI, compliquant et ralentissant d’autant le traitement des dossiers.
La dématérialisation, une fausse bonne idée
« Les règles sont décidées très loin des réalités de terrain », constate Floriane Morel-Ragot, responsable facturation et administration au centre hospitalier intercommunal de Haute-Comté, détachée de la FPT. Elle ne manque pas d’idées pour faire des économies, proposant notamment de regrouper en un seul point d’entrée tout ce qui concerne « le même thème ».
« Typiquement, une création d’entreprise vous demande de courir de la Chambre de commerce, à la chambre des métiers puis aux impôts ou à l’URSSAF », illustre-t-elle. Quant à la dématérialisation, censée faire faire des économies, elle est bien plus couteuse qu’il n’y paraît. « À force de tout dématérialisé, le lien n’existe plus. Or, il est indispensable pour connaître ses administrés et répondre à leurs besoins.
Publié le 04/04/2024
Dans : lagazettedescommunes.com