Et si finalement le report de quelques mois du projet de loi de réforme de la fonction publique offrait l’occasion d’une vraie concertation. Prévu initialement en février, il sera présenté en Conseil des ministres cet automne. L’Association nationale des directeurs généraux et DGA des centres de gestion de la fonction publique territoriale (ANDCDG) s’est engouffrée dans la brèche pour remettre au ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, début avril, un document contenant 32 propositions précises et souvent audacieuses. Elles s’articulent autour de six grands principes : simplifier l’accès à la fonction publique, assouplir les règles statutaires, revaloriser les salaires, reconnaitre les mérites, fidéliser par un déroulement de carrière, protéger et prévenir.
Peser face au gouvernement
Ces propositions proviennent de près de cinq mois de travail, tout d’abord de la commission statut de l’ANDCDG et de son réseau de 200 experts, moulinés ensuite par le conseil d’administration de l’association. Une démarche alimentée d’échanges réguliers avec la Fédération nationale des CDG (FNCDG). Résultat : un document dense de près de 50 pages, argumentées et avec des propositions détaillées des réformes législatives et réglementaires qui seraient nécessaires.
Partie seule pour l’instant, l’ANDCDG espère pouvoir faire cause commune avec les autres associations de territoriaux avant l’été, pour « porter ensemble une série de propositions et peser ainsi plus fort dans la concertation face au gouvernement », souhaite Olivier Ducrocq, le président de l’association.
Baisse de l’attractivité de la FPT
« La philosophie de notre contribution est la défense du statut mais sans conservatisme, estime le DGS du centre de gestion 69. Nous considérons que le statut constitue une bonne convention collective mais ayant besoin d’être modernisée, simplifiée et d’accompagner les évolutions de la société ». La simplification doit s’accompagner d’une fidélisation des agents, toutes deux essentielles face à la baisse de l’attractivité de la FPT.
Pour l’entrée dans la fonction publique, l’ANCDG préconise d’alléger les procédures, de valoriser les années d’apprentissage dans l’ancienneté et, surtout, de réduire pour les contractuels la « CDIsation » à trois ans au lieu de six. Trois ans plus tard, ils auraient accès à un concours réservé pour intégrer le statut de fonctionnaire, s’ils sont demandeurs
Suppression des concours de catégorie C
En préambule, l’ANDCDG affirme « son attachement sans faille au recrutement par concours ». Son président rappelle ici que sa vocation est « d’assurer un égal accès à la fonction publique, de faire fonctionner l’ascenseur républicain et de protéger les agents contre le fait du prince ». Et d’ajouter : « les concours représentent juste 6 à 7 % des recrutements. C’est très minoritaire mais cela représente l’exemplarité en termes de service public que nous voulons défendre ».
Ce qui ne l’empêche pas d’appeler au « pragmatisme » pour alléger ou supprimer certains concours. Ainsi, l’ANDCDG défend la suppression des concours de catégorie C et la simplification de cette catégorie en deux grades (au lieu de trois). L’association considère que « le rééquilibrage des postes ouverts aux concours externes et interne est nécessaire pour renforcer ce dernier au regard des recrutements contractuels massifs ». Dans le prolongement de ce qui a été fait pour la filière médico-sociale (concours sur titres avec épreuve), elle prône l’allègement des concours des métiers artistiques.
Des formations initiales plus longues
« Voulant favoriser le recrutement de contractuels, la loi TFP de 2019 a atteint son objectif, juge Olivier Ducrocq. Aujourd’hui 25 % de nos effectifs sont des contractuels et pas moins de 50 % des recrutements sur emplois permanents sont également des contractuels ». Problème : leur trop faible connaissance des collectivités. Selon l’ANDCDG, l’ampleur du recrutement contractuel et de la professionnalisation à outrance des concours aboutissent à ce que de plus en plus d’agents territoriaux, à tous les niveaux de responsabilité « n’ont plus aucun apport théorique sur l’environnement spécifique et le fonctionnement du service public ». « Un vrai problème », selon le DGS du CDG 69, qui défend des formations initiales renforcées et plus longues pour tous les agents recrutés sur emplois permanents qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels. Concrètement, cela passerait a minima et en présentiel par une semaine de formation initiale en catégorie C, deux semaines en catégorie B, et trois semaines en catégorie A cumulatives, en cours de carrière et non fongibles.
Faciliter la titularisation des contractuels
« Le recrutement contractuel est une bonne nouvelle à court terme pour l’employeur et l’employé, mais une mauvaise nouvelle à long terme car ils n’ont pas de carrière et coûtent souvent plus cher que les fonctionnaires », explique le président de l’ANDCDG. D’où la proposition de pouvoir proposer aux contractuels un CDI au bout de trois ans sur un emploi permanent au lieu de six. Et pour faciliter la titularisation des agents en CDI ayant une ancienneté de six ans (trois ans en CDD + trois ans en CDI) de bénéficier d’une voie d’accès particulière à la titularisation via un concours réservé (4e voie). « En clair, il faut faciliter le recrutement contractuel mais aussi l’entrée dans le statut des agents qui veulent rester dans la fonction publique et y faire carrière », argumente-t-il. Et d’estimer, qu’en parallèle, « le contrat constitue un bon support pour les jeunes qui veulent juste rester un temps puis partir dans le privé ».
Rémunération, « la mère des réformes »
« Même si c’est très important de faire des marques employeurs et d’améliorer la QVT [qualité de vie au travail] ou le management, il faut avant tout faire en sorte que les gens puissent vivre de leur travail », lance Olivier Ducrocq. Selon lui, la rémunération constitue donc « la mère des réformes ». Concrètement, il faudrait revaloriser l’ensemble des grilles de rémunération mais aussi allonger les grilles pour tenir compte du recul des départs à la retraite. « La rémunération indiciaire doit être simplifiée en intégrant dans les revalorisations un fatras complexe d’indemnités dites de compensation », ajoute l’ANDCDG.
À l’appui, son président cite un exemple très révélateur : un agent de catégorie C est recruté fonctionnaire, sans concours, au premier échelon de son grade. Il va travailler durant neuf ans et arrivera au 8e échelon de son grade pour un salaire net mensuel augmentée de…33 euros ! S’il passe le concours de rédacteur catégorie B, au bout de quatre ans il atteindra le 5e échelon pour une progression de son salaire net mensuel de 16 euros ! « Cette situation n’est pas correcte, souligne-t-il. Dans mon CDG, des agents partent car ils ne peuvent plus se loger ». De plus, l’association demande que le pourcentage des primes prises en compte dans le calcul de la retraite des fonctionnaires soit nettement revalorisé.
Sur ce sujet des rémunérations, le président de l’ANDCDG est-il confiant sur d’éventuelles avancées ? « Pour être honnête, je ne suis pas vraiment optimiste, reconnaît-il, car cela concernerait forcément cinq millions de fonctionnaires. Et cela d’autant plus dans le contexte actuel de réduction des déficits publics. Mais dans notre rôle d’expert RH, nous sommes obligés d’en parler et d’insister sur l’importance du sujet ».
Récompenser le mérite
Pour mieux récompenser le mérite, comme l’affirme le gouvernement depuis plusieurs mois, il ne s’agit pas d’inventer une usine à gaz, prévient le DGS du CDG 69, mais de « favoriser la souplesse et la simplification en redonnant aux collectivités des marges de manœuvre sur leurs politiques indemnitaires ». Sa solution ? Créer des bonifications d’avancement d’échelons pour un certain quota d’effectifs. L’association aspire à « un RIFSEEP plus souple où chaque employeur déterminera sa politique indemnitaire entre parts fonction, mérites collectifs et/ou individuels ». La seule limite serait que l’addition de ces deux dernières parts ne dépasse pas la moitié du montant total de la prime attribuée. « Je pense que les collectivités recevraient ce dispositif très positivement car cela resterait simple et souple, tout en permettant d’avoir une vraie politique RH », estime Olivier Ducrocq en espérant « que cette proposition puisse inspirer le gouvernement ».
Il prône également un assouplissement des conditions de cumul d’emplois, même s’il reconnaît que c’est une solution à défaut en attendant mieux. Toujours par pragmatisme sachant « les difficultés financières des agents à vivre de leur unique activité ». « Je sais que certains sont scandalisés par ce type de proposition mais c’est un principe de réalité en direction des petits salaires si les grilles n’augmentent pas », se justifie-t-il.
Mieux structurer la filière police municipale
« Au regard des évolutions de la société, le besoin de recrutements de policiers municipaux a explosé ces dernières années et sera un phénomène durable », constate l’ANDCDG. Et d’ajouter : « Le classement des agents dans cette filière ne correspond plus à leurs responsabilités de terrain et n’est pas cohérent vis-à-vis de la fonction publique d’État, ce qui rend difficile des détachements et mobilités entre agents de l’État et agents municipaux ». Elle plaide ainsi pour refondre et revaloriser les cadres d’emplois de cette filière : un cadre d’emplois de catégorie C à deux grades pour les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) dotant ainsi ce métier d’un véritable statut, un cadre d’emplois de catégorie B pour les brigadiers (option urbaine) ou les gardes champêtres (option rurale), et enfin des cadres d’emplois de catégorie A pour les chefs de service de police et les directeurs.
« Ces propositions, un peu disruptives, ne plairont pas à tout le monde, admet Olivier Ducrocq, mais elles nous semblent vraiment nécessaires pour revaloriser ce métier en très forte tension et améliorer son attractivité, notamment en favorisant les détachements de policiers nationaux vers les polices municipales ».
Renforcer drastiquement la prévention
Concernant la santé, « avant de penser à l’améliorer, il s’agit désormais de sauver la médecine préventive en grand péril », s’alarme l’ANDCDG. Pour favoriser le recrutement de médecins du travail, elle propose notamment de réduire la durée du diplôme universitaire de médecine et santé au travail ou de faciliter la reconversion des médecins généralistes.
Autre chantier : renforcer drastiquement la prévention en donnant un rôle plus fort aux agents chargés des fonctions d’inspection (ACFI) et en sanctionnant les employeurs qui ne respectent pas leurs obligations. Il s’agirait de mieux prévenir l’usure professionnelle, dans l’attente d’un futur fonds national, espéré dans le projet de loi de réforme de la fonction publique. « L’état de la prévention dans les collectivités est honteux, s’emporte Olivier Ducrocq. 50 % des collectivités ne réalisent pas le document unique d’évaluation des risques professionnels, pourtant obligatoire depuis 25 ans. Les élus ne sont pas assez sensibilisés à l’importance de la prévention des agents et formés à leurs responsabilités d’employeur ».
« Non aux généralités contre les fonctionnaires »
Face au coût très élevé de l’absentéisme, le président de l’ANDCDG martèle l’importance de la prévention, de l’accompagnement en reclassement mais aussi des contrôles des arrêts de travail.
« Quand j’entends récemment Bruno Le Maire critiquer l’absentéisme des fonctionnaires, il compare des choux et des carottes, s’agace-t-il. Au-delà de 50 ans, dans le privé, on licencie alors que dans le public on garde les agents jusqu’à la fin ». Même agacement sur la comparaison de d’absentéisme entre fonctionnaires et contractuels : « c’est de la mauvaise foi car ces derniers sont âgés de 30-35 ans alors que les fonctionnaires ont en moyenne 55 ans ». Et de plaider pour « arrêter ces généralités contre les fonctionnaires » en citant ce que lui a dit récemment un élu : « la santé de nos agents est ce que nous, employeurs, en faisons ».
Philippe Pottiée-Sperry
Publié le 15 avril 2024
par Rédaction Weka