FACE AU RN, DES SYNDICATS DE LA FONCTION PUBLIQUE EN ORDRE DISPERSÉ

Si certaines organisations représentatives des agents publics appellent ces derniers à se mobiliser contre le Rassemblement national, d’autres font montre de prudence et affichent leur attachement au principe d’indépendance.

La situation politique divise les syndicats de fonctionnaires. Si elles étaient unies pour contester la réforme de la fonction publique préparée par Stanislas Guerini, les organisations syndicales du secteur public réagissent aujourd’hui en ordre dispersé face à la perspective d’une victoire du Rassemblement national (RN) aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet. Quand certains syndicats appellent à descendre dans la rue et à participer aux rassemblements contre le parti de Marine Le Pen, d’autres adoptent une forme de neutralité dans la perspective des nouvelles élections.

C’est le cas notamment de FO Fonctionnaires, qui affiche, comme souvent, son attachement au principe d’indépendance. Cette organisation vient ainsi d’annoncer qu’elle “ne donnera aucune consigne de vote comme elle l’a toujours fait”, tout en s’opposant “bien évidemment” et “sans ambiguïté à la xénophobie, à l’homophobie et à toutes les autres formes de discrimination”. “Nous ne nous inscrivons dans aucune alliance syndicale ou politico-syndicale consistant à appeler à voter pour untel ou contre untel, développe son secrétaire général, Christian Grolier. Chaque citoyen vote en son âme et conscience et nous respecterons le résultat des urnes.” Réfutant pour son syndicat un rôle de “directeur de conscience”, le syndicaliste pointe toutefois une montée du RN qui est, selon lui, la “conséquence de décennies de politiques publiques antisociales qui ont opposé les Français entre eux”. 

“Nous ne posons pas de pronostics sur les élections à venir, pas plus que sur les précédentes”, affirme de son côté la FA-FP en disant se tenir “éloignée du débat politique” et “respectant ainsi ses statuts historiques apolitiques”. Mais le syndicat ajoute que “les services publics sont au service du public et non au service d’idéologies”, tout en continuant à réclamer notamment une revalorisation “significative” des salaires et des carrières dans la fonction publique ainsi qu’une “vraie politique d’investissement pour les servies publics”. 

Situation “terriblement inquiétante” 

La CFE-CGC Services publics met elle aussi en avant sa “liberté” et son “indépendance”. “La fédération ne portera aucun avis ni soutien à qui que ce soit, ce n’est pas son mandat, elle ne vendra pas ses convictions de liberté, d’indépendance et de proposition”, affirme-t-elle ainsi, tout en se disant prête à participer “à un nouveau dialogue social avec les nouveaux élus en responsabilité quand le moment sera venu” afin de “défendre les intérêts collectifs et individuels de tous les agents publics”. 

Les autres syndicats de la fonction publique sonnent quant à eux le tocsin face au “danger” que représenterait selon eux l’arrivée du RN au pouvoir. C’est un parti “contre le service public et ses agents”, affirme ainsi Solidaires Fonction publique aux yeux de qui “l’extrême droite au pouvoir est synonyme de destructions des services publics et d’attaques sans précédent contre les fonctionnaires et les agents”. “Le RN au pouvoir, ce sont des politiques publiques discriminatoires, c’est la privatisation des services publics, c’est l’autoritarisme dans nos services”, ajoute ce syndicat, en pointant un parti qui “se vautre dans le fonctionnaire bashing le plus caricatural dès qu’on lui en laisse la possibilité”. 

Mylène Jacquot, de la CFDT, évoque elle aussi une situation “terriblement inquiétante” : “Ce qui nous remonte, ce sont de très grandes inquiétudes sur ce qui se profile en termes de politiques publiques à mettre en œuvre. Le plus gros risque, qui transparaît depuis de nombreuses années dans les propos des dirigeants du RN, c’est la transformation de la fonction publique en une armée administrative aux ordres et muette, bien loin des propos de façade.” 

Appels à la mobilisation

Le Rassemblement national “avance masqué quant à la réalité des politiques publiques qu’il entend mener mais il est probable qu’il s’attaquera à la pleine citoyenneté dont jouissent les fonctionnaires, à la neutralité et à l’impartialité à laquelle ils sont tenus, à l’égalité à laquelle ils méritent d’être traités”, renchérit Benoît Teste, de la FSU, qui appelle les agents publics à mobilisation pour faire “barrage au RN et à ses satellites”.  

Solidaires appelle aussi les agents publics à continuer à se mobiliser “contre l’extrême droite, pour la démocratie etla justice sociale”. Même mot d‘ordre du côté de l’Unsa Fonction publique, qui appelle à se mobiliser “contre la haine, contre les populismes et l’extrême droite” et “pour le social, pour la démocratie, pour le service public et pour les valeurs de la République”. Pour éviter des “perspectives terribles”, la première des mobilisations, “c’est la participation au vote”, abonde Mylène Jacquot, de la CFDT, qui a récemment signé le “Pacte d’engagement pour le service public” face à la “tentation de l’extrême droite” que viennent de lancer plusieurs think tanks de fonctionnaires, associations et syndicats comme la FSU et l’Unsa.

Comme d’autres syndicalistes qui pointent une responsabilité de la “macronie” dans la montée du RN, Mylène Jacquot estime que le gouvernement Attal “aurait été bien inspiré” d’entendre les syndicats “sur deux choses au moins”, à commencer par la question des rémunérations des agents publics. “Le pouvoir d’achat est bel et bien la préoccupation prioritaire des agents”, martèle la représentante de la CFDT. Et aussi sur la réforme en préparation de la fonction publique : “La négociation aurait été une bien meilleure chose que d’imposer un projet de loi dans les termes stigmatisants qu’on connaît”, estime Mylène Jacquot, faisant ainsi allusion à la volonté du ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, de développer la rémunération au mérite dans la fonction publique ou encore d’y faciliter les licenciements pour insuffisance professionnelle. 

“Faire front dans la rue et dans les urnes”

“La macronie porte une lourde responsabilité dès lors qu’elle a toujours refusé d’apporter des réponses aux revendications portées”, renchérit la CGT, pour qui “l’heure n’est plus au dialogue social mais à la mobilisation”. La centrale de Montreuil appelle ainsi les agents publics à “faire front” face au RN, dont la victoire “serait une catastrophe” compte tenu de ses “visées qui vont à l’encontre des intérêts, des droits et garanties des fonctionnaires et agent publics”.

“Sa mainmise sur l’appareil d’État et les politiques publiques aurait des conséquences sociales, sociétales et démocratiques dramatiques”, abonde l’Union fédérale des syndicats de l’État (UFSE) de la CGT, en appelant donc à “faire front dans la rue” mais aussi “dans les urnes” en votant pour les candidats du Nouveau Front populaire aux élections législatives. La cosecrétaire générale de l’UFSE, Céline Verzeletti, a d’ailleurs abandonné son mandat syndical pour être candidate de la gauche dans la 15e circonscription de Paris.

Reste à savoir si les appels syndicaux seront entendus, sachant que le vote pour l’extrême droite s’est récemment affirmé dans la fonction publique, comme l’ont notamment révélé plusieurs études du Cevipof, le centre de recherches politiques de Sciences Po Paris. “C’est compliqué, nous avons bien entendu en notre sein des sympathisants de gauche et d’extrême gauche, mais aussi des sympathisants d’extrême droite”, affirme, quelque peu désabusé, un syndicaliste.