STANISLAS GUERINI : « UNE AUGMENTATION GÉNÉRALE DU POINT D’INDICE DE 10 % SERAIT INÉQUITABLE »

Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, membre de la majorité présidentielle et candidat sortant aux élections législatives dans la 3e circonscription de Paris, expose à Acteurs publics quelles sont les principales ambitions de Renaissance pour la fonction publique. Un programme qui s’inscrit dans la droite ligne des travaux initiés par le ministre, notamment dans le cadre du texte de réforme “pour l’efficacité de la fonction publique” qu’il préparait pour l’automne.

Quelles mesures prévoyez-vous pour rendre la fonction publique plus attractive ? Et que ferez-vous pour améliorer les conditions de travail des agents ?

Rendre la fonction publique plus attractive, c’est agir à la fois pour la revalorisation des carrières et des rémunérations et pour l’amélioration de la qualité de vie au travail. Plutôt que des mesures indifférenciées, la priorité restera la meilleure reconnaissance des métiers, c’est-à-dire des qualifications et des parcours en fonction des filières professionnelles. Et ce par un travail de fond sur les conditions d’entrée dans la fonction publique, le parcours de carrière, pour mieux valoriser l’expérience professionnelle acquise, accroître la promotion sociale et les passerelles entre emplois, comme sur les grilles de rémunération. Après la consultation sur les conditions de travail à laquelle 110 000 agents publics ont participé, les actions amplifieront les réponses déjà apportées : les accords inédits sur la protection sociale complémentaire, l’expérimentation de la semaine en quatre jours, le plan de protection des agents, le plan sur le logement ou encore l’extension du forfait “mobilités durables” pour favoriser des déplacements domicile-travail décarbonés. La négociation ouverte sur l’organisation, les conditions et les environnements de travail devrait ainsi aboutir d’ici 2025.

Le Nouveau Font populaire propose de revaloriser le point d’indice de la fonction publique de 10 %. Qu’en pensez-vous ? Et quelle serait votre approche à vous : des mesures ciblées plutôt qu’une grande revalorisation générale ?

Une augmentation générale du point d’indice de 10 % serait inéquitable. En s’appliquant mécaniquement à tous les salaires, elle avantagerait bien plus les plus hautes rémunérations : elle représenterait par exemple 180 euros par mois pour un agent d’entretien hospitalier en début de carrière, mais quatre fois plus pour un haut fonctionnaire ! Et elle coûterait 20 milliards d’euros par an, au risque de ne laisser aucune marge pour valoriser les parcours de manière plus structurelle. À rebours de cette approche indistincte, notre ambition est de combiner plusieurs leviers touchant à la rémunération, dans une approche négociée et pluriannuelle. Le gouvernement s’est ainsi attaché à revaloriser le point d’indice quand l’inflation dépassait 5 % (avec une hausse historique de 3,5 % puis de 1,5 % en 2022 et 2023), tout en faisant jouer des mesures bénéficiant d’abord aux agents les plus touchés par le coût de la vie : maintien des plus bas salaires au-dessus du Smic, prime exceptionnelle de pouvoir d’achat de 300 à 800 euros. Plus globalement, grâce aux mesures prises depuis sept ans, un infirmier en début de carrière perçoit 260 euros nets par mois de plus, un professeur des écoles 307 euros de plus. Pour les plus bas salaires, le gain grâce aux mesures prises en 2023 et 2024 atteint jusqu’à 13 %. Au-delà, l’objectif est la restructuration progressive des grilles, pour apporter des réponses adaptées à la réalité des métiers, des qualifications et des durées de carrière. Et ce dans le cadre de négociations salariales pluriannuelles donnant, dès 2025, la visibilité nécessaire.

Notre ambition est de combiner plusieurs leviers touchant à la rémunération.

Faut-il plus ou moins de fonctionnaires ? Plus ou moins de contractuels ? Quelle est votre position vis-à-vis du recours aux contractuels, de plus en plus fréquent, pour combler le manque de personnel et de compétences rares ?

Pour rendre le service public plus efficace, la réponse ne se résume pas de manière simpliste à “plus d’emplois publics” : l’enjeu est d’abord de mieux définir les besoins prévisionnels prioritaires et la présence territoriale des services, de simplifier tant l’organisation du service que les conditions d’exercice des agents, avec moins de tâches administratives et plus d’autonomie, en valorisant les apports du numérique et de l’intelligence artificielle, etc. Le recours aux contractuels ne s’oppose pas à l’emploi de fonctionnaires. Grâce à la loi de transformation de la fonction publique votée en 2019, les employeurs publics ont plus de latitude pour recruter des contractuels répondant plus directement au besoin du service ou apportant des compétences nouvelles. Cette articulation entre statut et contrat n’a pas vocation à être modifiée. Mais il serait légitime et pragmatique de faciliter l’accès à l’emploi titulaire pour les contractuels qui le souhaiteraient : c’est une perspective ouverte dans la concertation sur le projet de loi.

Maintiendrez-vous le chantier de la rémunération au mérite ? Serait-elle plutôt individuelle, collective, ou les deux ? Que répondez-vous aux craintes d’une atteinte au statut du fonctionnaire et à son indépendance, et de l’ouverture d’une porte au copinage et au clientélisme ?

Le mérite est inhérent au statut de la fonction publique depuis son origine, arrêtons de les opposer ! C’est la méritocratie républicaine : celle qui fonde les recrutements ou les promotions selon les seuls “vertus et talents” conformément à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ; celle qui “proportionne la rémunération du fonctionnaire à l’intensité et l’efficacité de l’effort” et promeut les agents “ayant le goût de l’initiative et le sens de la responsabilité”, pour citer Maurice Thorez lorsqu’ il crée le statut du fonctionnaire en 1946. Et écoutons nos agents publics ! Dans toutes les enquêtes, ils veulent que leur engagement et leurs résultats soient davantage reconnus, y compris par des primes. Aujourd’hui, la part variable représente moins de 2 % de la rémunération des agents publics ! On doit donc lui donner une place plus importante tant au plan collectif qu’individuel. Et considérer que cela rimerait nécessairement avec copinage et clientélisme, c’est faire bien peu de cas de l’intégrité et de l’esprit de responsabilité des chefs de service, des directeurs d’hôpital ou des maires ! Et si on les respectait en leur faisant confiance ?

Le statut est un socle, garant des principes du service public. Mais l’efficacité du service public n’est pas non plus une option.

Faut-il toucher plus largement au statut des fonctionnaires ou non, et comment ? Vous prévoyiez notamment de vous attaquer à l’emploi à vie des fonctionnaires, mais cette sécurité de l’emploi n’est-elle pas un élément d’attractivité de la fonction publique et aussi de garantie de sa neutralité et de son indépendance ?

Le statut est un socle, garant des principes du service public : impartialité, neutralité, égalité de traitement des citoyens, adaptabilité, continuité. Il n’est pas question d’y renoncer. Mais l’efficacité du service public n’est pas non plus une option : le “rendement”, la “productivité du travail individuel ou commun”, pour reprendre là encore des citations de 1946, restent un impératif, et le statut doit lui-même s’adapter. D’où la volonté de mieux développer les compétences et valoriser l’engagement. Et, quand c’est nécessaire, en sanctionnant ceux qui ne remplissent pas ou pas correctement leur mission, y compris par le licenciement pour insuffisance professionnelle. C’est ce que nous devons améliorer : alors que le statut prévoit déjà le licenciement, ses modalités de mise en œuvre sont difficilement applicables. L’an dernier, 13 licenciements pour ce motif, sur 2,5 millions d’agents de l’État, ont été prononcés. D’où le travail engagé pour que les employeurs puissent mieux agir face aux situations d’insuffisance professionnelle, avec professionnalisme et équité.

Comment diversifier la haute fonction publique, la rendre plus accessible ?

La réforme de la haute fonction publique opérée en 2021 permet, à l’encontre des corporatismes et des “rentes”, le brassage de profils plus diversifiés pour occuper les postes à responsabilités, dans des conditions d’impartialité et de transparence accrues. Les 100 “prépas Talents” créées partout en France aident les jeunes moins favorisés mais méritants à réussir les concours les plus élevés : nous amplifierons le dispositif, notamment dans les quartiers prioritaires. Nous avons donné une place sans précédent à l’apprentissage dans la fonction publique, nous en ferons une voie d’accès majeure pour les jeunes. Les actions se sont multipliées en faveur de l’égalité et de la diversité : mentorat, programmes “Talentueuses” ou “HandiTalents”, objectifs de parité effective entre les femmes et les hommes grâce à la loi du 23 juillet 2023. Nous maintiendrons le cap !

Propos recueillis par Émile Marzolf et Marie Malaterre

 

par Emile Marzolf
26 juin 2024
acteurspublics.fr