AGGRAVATION DU DÉFICIT PUBLIC : CIBLÉES PAR LE GOUVERNEMENT LES COLLECTIVITÉS DÉNONCENT UN « MENSONGE POPULISTE »

Le gouvernement démissionnaire estime que le « risque principal » pour les finances publiques en 2024 proviendrait de l’augmentation des dépenses des collectivités. Des « accusations injustes » visant à « masquer la situation désastreuse des comptes de l’État », affirment les associations d’élus.

Fini la trêve olympique. Le gouvernement démissionnaire met directement en cause les collectivités dans le nouveau dérapage budgétaire qui se profile pour cette année 2024 en les accusant de faire dériver les comptes publics de « 16 milliards d’euros ». Des chiffres « complètement fallacieux », a notamment riposté le président du Comité des finances locales (CFL), André Laignel.

Dans un courrier adressé, lundi soir, aux présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, les ministres démissionnaires des Finances et des Comptes publics, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, assurent donc que le « risque principal »  pour la trajectoire des finances publiques en 2024 serait « lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités ».

16 milliards d’euros

Selon Bercy, les dépenses des collectivités pourraient ainsi contribuer à « dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros », alors que la France est déjà mise sous pression par l’Europe qui a lancé une procédure à son encontre pour déficit excessif.

Les deux ministres mettent donc en garde contre un nouveau dérapage des comptes publics – qui intègrent ceux de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales – dont le déficit pourrait encore augmenter pour atteindre 5,6 % cette année, loin des 5,1 % envisagés en fin d’année et des 3 % en 2027.

Outre « la diminution de l ‘épargne brute des collectivités », le président de la commission des finances de l’Assemblée, Éric Coquerel (LFI), relate, via un communiqué publié sur X, « la nouvelle baisse, probable et prévisible, des recettes (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés mais aussi TVA) et les dépenses nouvelles (Nouvelle-Calédonie et élections législatives) ».

« Pour le moment, en plus des 10 milliards d’euros d’annulation de crédits, décidés en février, Bercy a gelé préventivement 16,5 milliards d’euros de crédits », détaille-t-il. Celui-ci dit ainsi « craindre que le futur gouvernement ne cherche à annuler l’entièreté des crédits gelés pour limiter le déficit », annonçant « une conséquence récessive sur l’économie ».

Dans ce contexte, « seuls les budgets dédiés à la défense et la sécurité augmenteront plus vite que l’inflation », constate Éric Coquerel qui note que « tous les autres budgets des ministères diminueront par rapport aux plafonds prévus en 2024 ». « Les politiques les plus touchées devraient être l’aide publique au développement (- 18 % sans tenir compte de l’inflation), le sport (- 11 %), l’agriculture (- 6 %), l’outre-mer (- 4 %), l’écologie (-1 %) et la santé (- 0,8 %). Le travail (+1 %) et l’Éducation nationale (+0,5 %) seront également concernés par une baisse de moyens », si l’on tient compte de l’inflation.

La mission « Relations avec les collectivités territoriales »  pourrait, quant à elle, chuter de 5 %, selon le tableau des montants dévoilés par Politico. Des montants que le futur gouvernement pourra faire évoluer dans le peu de temps qui lui restera pour le faire.

« On est au bord du précipice, les comptes publics sont dans le rouge violet  », a de son côté alerté le rapporteur général de la commission du Sénat Jean-François Husson (ex-LR), qui juge la situation « calamiteuse ».

« Masquer la situation désastreuse »  des comptes de l’État

Face à la mise en cause « grossière »  dont elles font l’objet, les collectivités n’ont pas tardé à réagir en déplorant des « accusations injustes »  et « un mensonge populiste ».

Jugeant cette attaque « infondée », l’AMF estime ainsi que les deux ministres démissionnaires s’en prennent aux communes, aux départements et aux régions « pour masquer la situation désastreuse des comptes de l’État qu’ils laissent derrière eux »  alors que « les collectivités locales ont participé de longue date à la réduction de la dette publique ».

« Faire endosser la dégradation des comptes publics aux collectivités locales est un mensonge populiste pour masquer l’échec de la politique de Bruno Le Maire et d’Emmanuel Macron »  alors que « 92 % de la dette publique est liée au budget de l’État », a également tancé la présidente de Régions de France, Carole Delga, sur X.

Le gouvernement démissionnaire « s’autorise à jeter l’opprobre sur les élus locaux sans aucun sens des proportions »  puisque « le besoin de financement des collectivités dont il est question est compris entre – 0,1 et – 0,2 % du PIB, soit une fraction minime du déficit de l’État », a dénoncé pour sa part France urbaine, qui note que celui-ci « semble ignorer ses propres turpitudes ».

Sur ce point, le gouvernement a également été sévèrement tancé par la Cour des comptes, cet été, qui écrivait que, « depuis deux ans, chaque nouvelle trajectoire budgétaire apparaît plus fragile que la précédente » … tout en demandant que l’effort d’assainissement des comptes publics soit « partagé »  par les collectivités.

L’AMF a, par ailleurs, rappelé que la dette des collectivités « est stable depuis 30 ans voire même en légère diminution, passant de 9 % du PIB en 1995 à 8,9 % en 2023 »  et que le « quasi-doublement du besoin de financement »  des collectivités annoncé par Bercy ne peut être regardé que comme une « hypothèse dont on ignore les fondements ».

Des chiffres jugés « complètement fallacieux », a également réagi auprès de l’AFP le président du CFL, André Laignel, qui ne comprend pas « d’où sortent les 16 milliards »  évoqués par les ministres.

Inquiétudes sur le Fonds vert

Et si « les collectivités sont certes confrontées à une hausse de leurs dépenses », expliquent Régions de France, « il s’agit d’abord de transferts de charges de l’État vers les collectivités, des effets de l’inflation ou encore la revalorisation de la rémunération des fonctionnaires territoriaux, décidée par le gouvernement et à la charge des collectivités »  mais aussi de « soutenir l’important effort local d’investissement, dans les infrastructures de transport, l’amélioration énergétique des bâtiments publics ou encore le soutien aux entreprises ».

L’Association des petites villes de France (APVF) a, quant à elle, exprimé sa « très vive préoccupation »  face à de possibles coupes budgétaires sur la transition écologique. À ses yeux, « la baisse possible du Fonds vert, de 2,5 milliards d’euros à 1 milliard d’euros, en autorisations d’engagement ainsi qu’un coup de rabot sur Ma Prime Rénov’, ou bien encore le Fonds chaleur de l’Ademe, enverraient un signal très négatif ».

« Le parti pris de lettres-plafonds proposant de réduire le Fonds vert de 60 % illustre l’inconséquence d’un gouvernement démissionnaire qui semble avoir perdu sa boussole », s’inquiète également France urbaine.