LES PISTES EXPLOSIVES DES INSPECTIONS POUR RÉDUIRE L’ABSENTÉISME DANS LA FONCTION PUBLIQUE

Acteurs publics s’est procuré la “revue des dépenses” remise au gouvernement par l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la réduction de l’absentéisme et des absences pour raison de santé dans la fonction publique. Elle propose notamment un renforcement des contrôles de ces arrêts, mais aussi d’augmenter le nombre de jours de carence ou encore d’abaisser le taux de “remplacement” de la rémunération des agents publics durant leurs arrêts.

Voilà des recommandations qui ne manqueront pas d’agiter la fonction publique si elles venaient à être mises en œuvre. Acteurs publics s’est procuré la “revue de dépenses” que l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) viennent de remettre au gouvernement démissionnaire Attal sur le très sensible sujet de l’absentéisme dans la fonction publique, et notamment des absences pour raison de santé. Un rapport où les inspections avancent plusieurs propositions explosives pour réduire cet absentéisme et dégager plusieurs millions d’euros d’économies à ce propos alors que Bercy vient d’alerter sur un possible nouveau dérapage des finances publiques et un creusement du déficit.

Certes, expliquent les inspections, les absences pour raison de santé sont restées stables dans la fonction publique sur la période 2014-2019 avec un “niveau moyen similaire” au secteur privé, à savoir 8 jours environ d’absence par an. À partir de 2020, néanmoins, cet absentéisme “a augmenté de manière généralisé”, expliquent l’IGF et l’IGAS. Celui-ci aurait même atteint des “niveaux historiquement hauts” en 2022 avec un “décrochage” entre les secteurs publics et privés. Cette année-là, 14,5 jours d’absence pour raison de santé avaient été recensés par agent contre 11,7 jours pour un salarié du privé. Ce nombre de jours d’absence s’était élevé à 18,1 dans l’hospitalière, à 17,1 dans la territoriale et à 10,7 à l’État.

Un coût de près de 15 milliards en 2022

Sans surprise, cette croissance récente de l’absentéisme s’explique en partie par la crise du Covid et les nombreux arrêts maladie qui ont été accordés dans ce cadre. La dynamique “semble” néanmoins “s’être inversée” en 2023, expliquent les inspections. Mais, regrettent-elles, “l’absence de suivi harmonisé des absences dans la fonction publique ne permet pas de connaître le niveau réel des absences en 2023”. La faute à des données, outils, et pratiques hétérogènes dans la fonction publique en matière de connaissance et de suivi des absences. Les inspections font ainsi toujours le constat d’un “éparpillement des données” et “d’indisponibilité d’information en temps réel”, malgré la modernisation des systèmes d’information RH et l’instauration des rapports sociaux uniques annuels (RSU) par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019.

Les écarts d’absentéisme observés entre le secteur public et le secteur privé s’expliquent principalement par les caractéristiques des agents publics et de leurs emplois (âge moyen plus élevé, plus grande féminisation, prévalence de maladie chronique, part moins importante de professions supérieures dans les collectivités et les hôpitaux). Aussi, selon l’IGF et l’IGAS, ces caractéristiques expliqueraient 95 % de l’écart des taux d’absence entre le secteur privé et les fonctions publiques d’État et hospitalière. Pour la territoriale, en revanche, ces caractéristiques n’expliqueraient que 53 % de l’écart en matière d’absentéisme. Ce qui signifierait donc que les autres 47 % de cet écart restent inexpliqués dans ce versant.

Au total, selon la mission, le coût des absences pour raison de santé (défini comme le montant des jours rémunérés non travaillés) est évalué à 14,4 milliards d’euros en 2022 (4,8 milliards pour l’État, 5,3 pour la territoriale et 4,3 pour l’hospitalière). L’équivalent de 353 000 emplois temps plein (ETP) sur l’ensemble de la fonction publique. Pour la mission, un “retour” à des niveaux d’absentéisme proches de ceux observés avant la crise sanitaire permettrait ainsi de réaliser des économies de l’ordre de 6 milliards d’euros ou de 140 ETP. Mais faut-il encore trouver les bonnes solutions pour réduire cet absentéisme.

Renforcement des contrôles à domicile 

Les inspections posent sur la table plusieurs “leviers” pour y parvenir, à commencer par la mise en place de meilleurs outils de suivi de ces absences, mais également de politiques de prévention “plus volontaristes” et d’un “accompagnement renforcé des parcours professionnels” des agents “pour assurer une meilleure maîtrise de leurs absences”. À ce propos, l’IGF et l’IGAS appellent notamment à “optimiser la mobilisation” de dispositifs de maintien dans l’emploi ou encore à mieux faire appliquer les obligations en matière de sécurité et de santé au travail. À leurs yeux, la récente réforme de la protection sociale complémentaire pourrait aussi constituer un moyen d’améliorer l’accès des agents aux actions de prévention.

Cela ne suffira pas pour les inspections qui recommandent notamment un renforcement des contrôles administratifs et médicaux des arrêts de travail des agents publics. Ceux-ci, expliquent-elles, sont “insuffisamment mobilisés” aujourd’hui. L’IGF et l’IGAS citent ainsi l’exemple du contrôle qui peut être mis en place par les chefs de service pour vérifier la présence des fonctionnaires malades à leur domicile, mais qui est aujourd’hui “inopérant”. “Toutefois, en l’absence de disposition législative ou réglementaire spécifique prévoyant les suites à donner à des manquements constatés par un contrôle, leur portée a été limitée par la jurisprudence du Conseil d’État”, regrettent les inspections en préconisant donc de mettre en place un véritable cadre réglementaire pour ces contrôles de la présence à domicile.

2 à 3 jours de carence ?

Dans leur “revue des dépenses”, les inspections appellent aussi et surtout à agir sur le volet financier de ces absences et donc la modulation de la prise en charge de la rémunération des agents en arrêt. Et ce, afin de limiter précisément les absences de courte durée pour raison de santé. Premier levier évoqué en ce sens par l’IGF et l’IGAS : l’augmentation du nombre de jours de carence dans la fonction publique, à savoir le nombre de jours de congé maladie durant lequel les agents publics ne sont pas rémunérés.

L’instauration de deux ou trois jours de carence (contre un aujourd’hui) est un levier possible dans l’objectif de réduire le volume des absences par incitation financière et de dégager des économies budgétaires”, expliquent les inspecteurs. Selon leurs calculs, l’instauration d’un deuxième jour de carence permettrait de dégager 174 millions d’euros sur l’ensemble de la fonction publique. Le passage à trois jours de carence représenterait quant à lui 289 millions d’euros d’économies.

Taux de remplacement dans le viseur

Autre piste explosive avancée par l’IGF et l’IGAS en plus de l’augmentation du nombre de jours de carence : la diminution du taux de remplacement de la rémunération des agents publics en arrêts de courte durée. Actuellement, les arrêts maladie des agents publics font donc l’objet d’un jour de carence puis sont rémunérés à plein traitement pendant trois mois. Pour réduire l’absentéisme et dégager des économies, les inspections proposent d’abaisser ce taux de remplacement à 90 % afin de dégager quelque 900 millions d’économies.

Les inspections en sont en effet convaincues : “Chaque jour d’absence supplémentaire étant partiellement rémunéré”, il y aurait alors “une incitation à modérer la durée d’un arrêt une fois cet arrêt débuté”. Pas sûr néanmoins que ce point de vue soit partagé par les syndicats qui ne cessent de s’opposer au jour de carence rétabli en 2018 dans la fonction publique et dont l’efficacité reste encore en débat, scientifiquement parlant. Si son rétablissement a contribué à réduire le micro-absentéisme, le nombre d’absences de longue durée a quant à lui augmenté, comme l’indique en effet l’Insee dans plusieurs études. Pour l’institut de statistique, le jour de carence a fait baisser les courts arrêts maladie des agents publics, mais pas les longs.