LA FONCTION PUBLIQUE A ENCORE DU CHEMIN À PARCOURIR DANS LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

“Réduire et combattre toutes les discriminations dans la fonction publique grâce au dialogue social”, tel était le thème d’un colloque organisé, la semaine dernière, par l’Unsa Fonction publique. “Dans un contexte dans lequel la fonction publique est attaquée, nous devons œuvrer pour une fonction publique plus juste, plus inclusive et plus exemplaire”, a notamment déclaré Luc Farré, secrétaire général de l’organisation syndicale, en ouverture.

Face à ce constat, quels sont les leviers à actionner pour les employeurs publics et agents alors que les textes sont dans l’ensemble peu contraignants ? “Le Défenseur des droits peut être saisi par des réclamations adressées par des victimes de discriminations et quel qu’en soit le motif, expose Marc Loiselle, directeur de la protection des droits du Défenseur des droits. Les saisines peuvent également être directement transmises par les organisations syndicales.”

L’institution enregistre environ 1 500 réclamations par an émanant de la fonction publique, dont la moitié concerne la protection sociale des agents publics, l’accès aux droits sociaux, les droits au chômage pour les agents contractuels ou des questions de retraite. “Le reste des réclamations dénoncent des discriminations à tous les stades de la carrière et même parfois dès les concours, notamment pour des personnes en situation de handicap”, souligne Marc Loiselle.

Parmi les motifs, le handicap et l’état de santé occupent une grande part des saisines, mais c’est vrai aussi pour les activités syndicales ou les discriminations en raison du genre. Sur cet aspect du genre, on pourrait croire que les règles indiciaires de la fonction publique constituent une sorte de garde-fous, du moins en matière d’inégalités salariales. Pourtant, il n’en est rien. “À postes équivalents, la différence de rémunération moyenne dans la fonction publique est de 296 euros, rappelle Johan Theuret, directeur général adjoint de la métropole de Rennes et cofondateur du think tank Le Sens du service public. Le régime indemnitaire est le premier vecteur d’inégalités salariales dans la mesure où les femmes occupent des postes qui sont majoritairement moins bien rémunérés, même si le Rifseep [le régime indemnitaire de la fonction publique, ndlr] est venu corriger une partie de ces inégalités.”

Le plafond de verre reste également un phénomène largement observé au sein de la fonction publique. Les femmes ont toujours des difficultés à occuper des postes à responsabilités même si les textes sont aujourd’hui contraignants sur cette question. Dans ce contexte, le phénomène d’autocensure est encore très vivace tandis que les employeurs publics ont encore du mal à placer les femmes aux postes à responsabilités.

“Des carrières bâties au masculin neutre”

“Le fonctionnement indiciaire, le système de grades et d’échelons augmente la croyance dans le caractère méritocratique du système”, analyse Hélène Demilly, docteure en sociologie et spécialiste des politiques d’égalité professionnelle. Elle estime pourtant que les discriminations indirectes sont très fortes au sein de la fonction publique, dans laquelle la féminisation de certaines professions est très visible, autant d’ailleurs dans les secteurs d’activités qu’au niveau hiérarchique. “Dans la fonction publique, les femmes sont plus souvent managers expertes et moins managers encadrantes”, remarque Hélène Demilly.

Elle analyse également que la promotion de ces profils managériaux a pu désavantager les femmes, tandis que les hommes peuvent être davantage reconnus pour leurs qualités de leadership, par exemple. “Les carrières sont bâties au masculin neutre, c’est-à-dire autour de l’homme, hétérosexuel qui a une épouse qui va l’accompagner dans sa carrière, souligne-t-elle. Dans les directions de Bercy, on peut voir que les femmes à des postes d’encadrement sont très souvent célibataires et sans enfants.”

Pour autant, sur ces questions de discrimination femmes-hommes, force est de constater que les choses ont beaucoup évolué ces dernières années. “Depuis vingt ans, on observe une prise en compte par les employeurs publics d’un certain nombre d’éléments dans ce domaine, confirme Marc Loiselle. Cela concerne notamment les violences sexistes et sexuelles.”

Une égalité d’accès théorique

Concernant la discrimination en raison de l’origine, qu’elle soit géographique ou sociale, le chemin à parcourir reste encore très long. “La part des agents d’origine étrangère mais qui peuvent avoir la nationalité française est de 6 % dans la fonction publique, regrette Johan Theuret. Ce n’est pas du tout représentatif de la société française. Les étrangers non européens peuvent travailler dans la fonction publique française, ils sont soumis aux mêmes droits et obligations que les fonctionnaires, mais n’ont pas la possibilité de passer les concours.”

Une égalité d’accès à la fonction publique qui, bien qu’étant un droit constitutionnel, ne semble pas exister dans la réalité. “La première discrimination est d’abord sociale, insiste, de son côté, Damien Zaversnik, coprésident de l’association La Cordée. Depuis des années, la haute fonction publique ne varie quasiment pas en termes de compositions. Le système tel qu’il est aujourd’hui contribue à révulser les candidats qui n’en connaissent pas les codes.”

Pour appréhender l’ensemble des discriminations, la difficulté aujourd’hui, sur les dossiers émanant de la fonction publique, reste de récolter des témoignages de collègues. Un élément pourtant déterminant et constitutif de la charge de la preuve dans des situations où les perceptions et les évaluations de chacun peuvent véritablement et parfois honnêtement diverger.