RETOUR SUR UNE ANNÉE DE RÉFORMES CONTESTÉES DANS LA FONCTION PUBLIQUE
Rétrospective. Entre le projet de réforme porté par Stanislas Guerini, les annonces de Guillaume Kasbarian sur les arrêts maladie ou son tweet de félicitations à Elon Musk, l’année 2024 a été particulièrement agitée dans la fonction publique. Charge au futur gouvernement Bayrou d’apaiser le climat social.
C’est une année particulièrement agitée qui s’achève dans la fonction publique. Un cru 2024 marqué par l’incertitude et les rebondissements politiques, mais aussi par de nombreux remous et des relations particulièrement tendues entre l’exécutif et les syndicats. L’année avait d’ailleurs mal débuté avec la disparition du ministère de plein exercice de la Fonction publique dans les premières nominations gouvernementales annoncées début janvier après l’arrivée de Gabriel Attal à Matignon. Une absence qui avait été amèrement pointée du doigt par de nombreux acteurs du secteur public.
Le ministre sortant, Stanislas Guerini, avait malgré tout bataillé ferme auprès de l’Élysée et de Matignon pour retrouver intact son portefeuille ministériel. Un bras-de-fer qu’il avait finalement remporté début février avec sa reconduction au sein de l’exécutif, avec à la clé, toujours, un ministère de plein exercice. Le président de la République, Emmanuel Macron, avait alors confié au ministre la mission de poursuivre “sa” réforme de la fonction publique.
La “réforme Guerini” percutée par la dissolution
Stanislas Guerini préparait en effet déjà depuis de longs mois cette réforme censée rendre la fonction publique “plus attractive et plus moderne”. Ses équipes travaillaient d’ailleurs à un projet de loi “pour l’efficacité de la fonction publique” qui devait aborder les questions d’accès au secteur, de carrières, de compétences, de mobilités et, bien entendu, de rémunération, avec au premier plan la question du développement de la rémunération au mérite dans la fonction publique. Une piste vivement critiquée par les syndicats tout comme celle de la constitution évoquée de filières professionnelles en lieu et place des catégories A, B et C de la fonction publique, un marqueur. Les représentants du personnel dénonçaient rien de moins qu’une remise en cause de l’édifice statutaire sur lequel la fonction publique a été créée.
Une autre piste de réforme avait aussi suscité l’ire des syndicats, celle d’un assouplissement du dispositif de licenciement pour insuffisance professionnelle dans la fonction publique. “Je veux que l’on lève le tabou du licenciement dans la fonction publique”, avait ainsi lancé, au mois d’avril, Stanislas Guerini.
Quoi qu’il en soit, ce dernier n’a jamais pu faire aboutir son projet de réforme, en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, qui a gelé les discussions sur cette réforme et surtout en raison de sa défaite aux élections législatives anticipées de juillet. Une défaite qui a scellé son sort au sein de l’exécutif et son remplacement par Guillaume Kasbarian après l’arrivée de Michel Barnier à Matignon. Un choc pour la fonction publique.
Bras-de-fer sur les arrêts maladie
À son arrivée à l’hôtel de Rothelin-Charolais, le siège du ministère de la Fonction publique, le nouveau ministre a d’abord affiché sa volonté de relancer la réforme préparée par son prédécesseur. Puis le flou est demeuré pendant plusieurs semaines sur ses intentions, avant que Guillaume Kasbarian n’abandonne, début novembre, l’idée d’une “grande loi” fonction publique. La situation politique et la fragmentation entre les différents partis rendaient de toute façon difficile pour le gouvernement Barnier l’obtention d’une majorité à l’Assemblée nationale.
Guillaume Kasbarian a remis sur la table la question sensible du développement de la rémunération au mérite, tout en annonçant renoncer au projet clivant de suppression-fusion des catégories A, B et C de la fonction publique. Mais ce sont d’autres annonces du ministre qui ont mis le feu aux poudres au sein de la fonction publique, celles qui concernaient le “plan de lutte contre l’absentéisme” des agents publics imaginé par le gouvernement Barnier dans une logique d’économies.
Les syndicats, comme beaucoup d’observateurs du secteur public, se sont, dans ce contexte, rapidement indignés du tour de vis envisagé par l’exécutif sur les arrêts maladie dans la fonction publique et plus précisément de la hausse annoncée de 1 à 3 jours de carence ou encore de la baisse du taux de remplacement de la rémunération des agents publics durant leurs arrêts maladie de courte durée, qui devait passer de 100 à 90 % à partir du 4ᵉ jour. Une provocation, pour les syndicats, qui contestaient aussi le gel du point d’indice de la fonction publique ou la décision de Guillaume Kasbarian de ne pas reconduire, cette année, la prime de pouvoir d’achat des agents publics (Gipa).
La méthode Kasbarian pointée du doigt
La méthode du ministre n’a pas seulement agacé les syndicats. La pilule des dernières annonces du gouvernement Barnier pour la fonction publique a également eu du mal à passer chez les employeurs territoriaux. Et ce autant sur le fond que sur la forme, les élus déplorant notamment, comme les organisations syndicales, de ne pas avoir été associés aux décisions de l’exécutif.
Un autre fait de “communication” du ministre a envenimé encore un peu plus le climat social dans la fonction publique : son tweet de félicitations, mi-novembre, au multimilliardaire américain Elon Musk pour sa nomination par Donald Trump à la tête d’un nouveau ministère “de l’Efficacité gouvernementale” créé par le Président américain élu pour “démanteler la bureaucratie gouvernementale” américaine, “sabrer les réglementations excessives”, “couper dans les dépenses inutiles” et “restructurer les agences fédérales”.
“Félicitations pour avoir accepté ce super défi, Elon Musk”, a ainsi écrit (en anglais) Guillaume Kasbarian en ajoutant avoir “hâte de partager” avec l’homme d’affaires américain “les meilleures pratiques pour lutter contre l’excès de bureaucratie, réduire la paperasse et repenser les organisations publiques pour améliorer l’efficacité des agents publics”. Des propos qui ont valu instantanément au ministre une volée de bois vert. Et ce notamment de la part de la classe politique de gauche et des syndicats, qui y ont vu une provocation à l’égard des agents publics.
En réaction, Guillaume Kasbarian avait assumé son tweet et dénoncé des réactions “totalement délirantes” et “disproportionnées”. “J’ai fait mon travail, on regarde ce qui se passe partout autour de nous en matière d’initiatives de simplification. Si je ne le faisais pas, on serait dans notre igloo et on ne ferait pas le boulot”, avait répondu le ministre, qui assurait que “(s)on objectif n’était pas de jeter de l’huile sur le feu”. Ce qui n’avait pas suffi à apaiser le climat très électrique de la fonction publique, matérialisé dans la foulée par un appel à la grève pour le 5 décembre dernier.
Un défi budgétaire et d‘attractivité pour le gouvernement Bayrou
Tout l’enjeu désormais pour le gouvernement Bayrou sera de tenter de restaurer les relations entre l’État et les syndicats de la fonction publique. Une tâche qui s’annonce ardue au vu des traces laissées par les gouvernements Attal et Barnier. L’équipe Bayrou aura rapidement à préciser ses intentions pour la fonction publique et des questions concrètes se poseront dès le début d’année au nouveau gouvernement dans le cadre de la préparation du budget : quelle trajectoire voudra-t-il pour les effectifs de la fonction publique et comptera-t-il lui aussi baisser l’indemnisation des agents publics durant leurs arrêts maladie, comme le souhaitait le gouvernement Barnier ? Le Sénat, dominé par la droite, promet en tout cas déjà de remettre ces mesures sur la table dans le cadre du budget, dont l’examen a été interrompu par la censure du gouvernement Barnier.
Au-delà de ces enjeux budgétaires, le gouvernement Bayrou devra préciser ce qu’il compte faire pour enrayer la crise d’attractivité du secteur public. Dans un rapport publié début décembre, France Stratégie lance un nouveau “message d’alerte” à propos de cette problématique. L’organisme de réflexion placé auprès de Matignon y pointe notamment un “déclassement salarial” de la fonction publique.
“Il y a véritablement urgence pour sauver le service public”, a réagi le porte-parole de la Coordination des employeurs territoriaux, Philippe Laurent, après la publication de ce rapport. Et de regretter que “trois ans” aient été “perdus” sur la question de l’attractivité, “malgré les chantiers annoncés par Stanislas Guerini, qui avait manifesté une vraie volonté de traiter le sujet et initié quelques réflexions”. “Mais il y a pire, a ajouté le maire UDI de Sceaux. Les récentes critiques et attaques contre les agents publics provenant de personnalités haut placées de l’État et de certains dirigeants politiques du pays, et les rapports à charge de quelques institutions, ont encore davantage abîmé l’image de la fonction publique, du service public et des agents publics qui le servent, créant chez ces derniers un fort sentiment d’abandon et de relégation.” Charge aujourd’hui au nouveau Premier ministre et à son gouvernement de tenter de retisser le lien avec les agents publics.